Ne rien faire à l’affiche

Les artistes ont souvent le doigté pour toucher de grandes vérités. Deux d’entre eux, la Montréalaise Victoria Stanton et le collectif italien Quiet Ensemble, nous invitent à regarder les changements derrière l’inertie d’un paysage ou d’un groupe d’escargots.
Festivals hiver comme été, jour et nuit, grands et petits événements, salons, foires, symposiums, biennales, triennales… Les programmations culturelles couvrent l’année mur à mur. Est-il possible de ne rien faire ? Oui, bien sûr. Ce qui peut paraître plus surprenant, c’est qu’un diffuseur mette la chose (ne rien faire) à l’affiche. Et qu’une artiste l’ait proposé.
« Je suis comme tout le monde, dans l’hyperproductivité. On est toujours en train de travailler, de trouver quelque chose à faire, alors qu’on a besoin de moments de repos avant de se mettre à produire. Comment ralentir mon rythme ? Comment insérer des gestes qui mènent à des repos collectifs ? »
Victoria Stanton n’est pas une employée de bureau, ne rêve pas que le patron instaure des périodes de siestes. Elle est une artiste terre à terre, active dans le milieu de la performance, ou de l’art action, depuis les années 1990.
Depuis un an, elle s’est lancée dans une série de non-actions ouvertes à tous intitulée The Sanctimonious Sect of Nothing Is Sacred (L’édifiante secte de rien (n’)est sacré). Elle le fait avec la complicité du centre Dare-Dare.

En ce dernier vendredi de février, elle tient un de ces moments, sa non-action « la plus désespérée » de toutes : observer, inactif pendant une heure, ou plus si ça vous chante, la lente transformation du paysage montréalais. Avec Regarder la ligne d’horizon disparaître, Victoria Stanton et ceux qui se joindront à elle sur le bord du canal de Lachine se poseront en contrepoids au développement immobilier.
« Une ville change, c’est vrai, on n’y peut rien. Du canal de Lachine, on a depuis très longtemps une vue privilégiée sur Montréal. Mais ça change. C’est comme si je devais en faire le deuil », dit celle qui a été rassurée par la boutade d’un ami. « Inquiète-toi pas, lui a-t-il dit, des gratte-ciel plus grands pousseront au centre-ville et tu pourras les voir. »
Au rythme des escargots
La lente transformation du paysage montréalais, « un condo à la fois », comme le signale Victoria Stanton, amène un changement identitaire. Elle en est convaincue, elle qui se définit par les montagnes qu’elle aperçoit au-delà de l’île.
Loin de cette réalité montréalaise, quoique peut-être pas, le duo italien Quiet Ensemble s’évertue à scruter les comportements humains par le biais de faits imperceptibles. Ceux qui se rendront au complexe Méduse de Québec d’ici dimanche, dernier jour du festival Mois Multi, auront l’occasion de le constater devant l’installation multimédia Orienta, è qui ora, che decido di fermarmi — « c’est ici et maintenant que je décide d’arrêter », selon la traduction suggérée par Bernardo Vercelli, un des deux membres du collectif.
La vie est partout et il faut imaginer que bien des spectacles secrets se déroulent sous nos yeux sans qu’on le sache
De quoi s’agit-il ? D’une dizaine de vrais escargots qui déambulent sur une plateforme. Leur apparente errance — que font-ils ? Rien — est captée par un processeur de mapping vidéo. Une traînée lumineuse, accompagnée de sa traduction musicale, se dessine peu à peu, comme l’empreinte du passage d’un colimaçon.
L’oeuvre est une affaire de temps et de patience. Son co-concepteur suggère de regarder plus d’une fois, même si, en apparence, rien ne se produit. « Les escargots bougent », note-t-il, ironique.
« [Orienta] nous permet de penser, poursuit Bernardo Vercelli, que pendant que nous allons vite tout le temps, bien des choses vont dans toutes les directions. La vie est partout et il faut imaginer que bien des spectacles secrets se déroulent sous nos yeux sans qu’on le sache. »
Le hasard de la nature
Avec ses projets d’actions/ non-actions, Victoria Stanton se place dans une situation similaire. Elle se demande souvent ce que signifie vraiment ne rien faire. Tout dépend du moment, de l’approche. La « lunette anticapitaliste », donne-t-elle en exemple, critique la productivité.
« Un geste non productif ne mène à rien ? Je ne crois pas », commente-t-elle. Victoria Stanton estime qu’un groupe non actif, comme celui qu’elle espère réunir devant un chantier de construction, peut avoir un impact, positif ou non, sur les passants. Mais elle n’impose aucune lecture. Chacun a ses raisons de ne rien faire.
Quiet Ensemble ne se veut non plus ni moralisateur ni critique de nos habitudes. Les deux complices, musiciens et informaticiens fascinés par le monde animal, cherchent seulement à opposer notre réalité contrôlante (les technologies) à ce qui ne se contrôle pas (la nature). Comme des escargots. Ou d’autres insectes, comme des fourmis qu’ils ont suivies un crayon à la main. Ou des poissons, qui leur ont soufflé une musique électronique méditative.
Par ces expériences animales, et d’autres végétales, Quiet Ensemble propose des métaphores de la vie qui, espère-t-il, toucheront leurs propres semblables. Orienta, qui intègre un Mois Multi porté par le thème de la collectivité, parle des traces laissées par les êtres vivants.
« On n’est pas toujours conscients des pas que l’on fait. Nous avançons beaucoup par instinct, comme les escargots. Nos instincts nous mènent à prendre des chemins différents des autres. Les hasards peuvent cependant nous faire croiser les mêmes personnes vingt ans plus tard », estime Bernardo Vercelli.