Les derniers mots d’un patriote pendu

L’historien Gilles Laporte a découvert dans les archives de la province du Manitoba un document inédit qui jette un nouvel éclairage sur sa vie méconnue de François Nicolas, un patriote pendu à Montréal au même gibet que le célèbre notaire Chevalier de Lorimier, le 15 février 1839, à 9 h 45 du matin.
Quelques heures avant de mourir, Nicolas prend sa plume pour écrire de façon inattendue à son ancien employeur, la toute puissante Compagnie de la Baie d’Hudson. Il souhaite qu’on lui pardonne quelques larcins. « Je vous prie […] de me pardonner tant en votre nom qu’aux noms de tous les autres associés de la Compagnie du Nord West au service de laquelle j’ai été cinq ans, ainsi que de celle de la Baie d’Hudson que j’ai servie près de deux ans, de vouloir bien me pardonner tous les dommages que je pourrais vous avoir occasionnés par la dissipation de vos effets et pour tous autres que je me suis appropriés illicitement et tournés à mon avantage. »
Religieux ou non ?
Ce patriote était-il religieux au point de sentir le besoin de s’exonérer de petits larcins à l’heure de sa mort, considérant alors avec recul sa vie de voyageur dans les terres nouvelles de l’Ouest ? « Il est certain qu’il s’est fait travailler par le curé en prison, mais il n’était pas du tout religieux, explique Gilles Laporte en entrevue au Devoir. Il ne fait pas ses Pâques. On le trouve dans le groupe des radicaux et il n’y a aucun comportement de type religieux chez lui. À la fin de sa lettre, il me semble même y avoir une petite pointe d’ironie lorsqu’il écrit : “ Si je suis assez heureux d’obtenir une place dans le Royaume des Cieux, je vous récompenserai par mes prières ” ». Alors pourquoi une lettre pareille au moment de mourir ? Selon l’historien, Nicolas souhaite probablement mettre à l’abri des proches contre des représailles éventuelles.
François Nicolas a participé à la bataille de Saint-Denis, le 23 novembre 1837. Mais il apparaît vraiment dans l’histoire des patriotes de 1837-1838, à l’occasion de l’assassinat à Saint-Blaise d’un loyaliste considéré comme un espion. Arrêté pour meurtre en janvier 1838, Nicolas est formellement accusé en août, puis subit son procès avec quatre autres patriotes. Il est déclaré non coupable le 7 septembre par un jury qui considère que cette mort est survenue en temps de guerre. Nicolas va se réfugier aux États-Unis, d’où il se joint aux élans du second soulèvement, dans les derniers mois de 1838.
« On ignore que plusieurs patriotes ont eu des liens importants avec l’Ouest, comme avec tout le continent américain. Il y a un transfert de l’imaginaire de la découverte et du continent par ceux qui ont été voyageurs et qui reviennent sur les rives du Saint-Laurent. » Spécialiste de l’histoire des patriotes, Gilles Laporte souhaite explorer ce rapport méconnu à l’histoire de cette révolution écrasée dans le sang. « Plusieurs patriotes avaient vécu partout, et pourtant revenaient sur les bords du Saint-Laurent, comme si c’était bien là leur monde bien à eux. »