Politique et musique, une dissonance fréquente

Adele, Queen, Earth, Wind and Fire et les Rolling Stones : tous dénoncent avec véhémence l’utilisation de leur musique dans la campagne électorale de Donald Trump.
Ceci n’est pas sans rappeler Bruce Springsteen, qui, en 1984, en 1996 et en 2000, avait sommé Ronald Reagan, Bob Dole et Pat Buchanan de ne pas utiliser Born in the U.S.A., critique acerbe de l’Amérique, dans leur campagne.
La liste des artistes en rogne contre les politiciens est longue : Bobby McFerrin contre l’utilisation de sa chanson Don’t Worry, Be Happy dans la campagne de George H. W. Bush en 1988 ; Sting et Brand New Day contre George W. Bush en 2000 ; Randy Bachman et Taking Care of Business contre Stephen Harper en 2014.
Le droit moral est assez universel, c’est un droit d’intégrité à l’œuvre et la provenance de l’artiste n’a pas d’incidence
Plus près de nous, il y a trois ans, Pierre Lapointe ne s’était pas gêné pour faire savoir dans une lettre publiée dans le quotidien La Presse qu’il ne digérait pas que le Parti libéral ait utilisé sa chanson Je reviendrai lors du congrès au leadership, le 17 mars 2013, pour réchauffer l’ambiance.
« Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Dans le temps des Expos, Michel Pagliaro ne voulait pas qu’on utilise J’entends frapper. En raison de ses convictions politiques, Gilles Vigneault ne veut absolument pas que Gens du pays soit associé aux fêtes du 1er juillet », se souvient Me Marie-Josée Dupré, directrice générale de la SPACQ (Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec).
Droits d’auteur et droit moral
Dans un tweet, les Rolling Stones ont clairement fait savoir qu’ils n’endossaient pas Donald Trump et que leur chanson You Can’t Always Get What You Want ait été utilisée sans leur permission. Pour sa part, Adele a fait savoir par son porte-parole qu’elle n’avait pas accordé la permission qu’on utilise sa musique dans une campagne politique. Rappelons que la chanson Rolling in the Deep a accompagné la montée sur scène de Trump.
Sur Twitter, la famille de George Harrison a écrit s’être sentie insultée lorsque Here Comes the Sun a retenti pour saluer l’arrivée d’Ivanka, fille de Trump. Les groupes Queen et Earth, Wind and Fire se sont également servi de leur compte Twitter pour dénoncer le fait que leurs chansons respectives We Are the Champions et September aient été jouées contre leur gré à la convention du Parti républicain le 18 juillet dernier.
Or, malgré les nombreuses demandes des artistes, Trump et son équipe font la sourde oreille et continuent de faire jouer leur chanson. On ne peut pas tous avoir la chance de Neil Young, qui, en juin dernier, avait convaincu le clan Trump de ne plus faire jouer ad nauseam Rockin’ in the Free World.
« Au Canada, à partir du moment où une organisation paie une licence pour utiliser de la musique lors d’un événement, cela donne le droit d’utiliser l’ensemble du répertoire pour un événement donné selon les différentes tarifications. Cette licence-là, c’est ce qu’on appelle une licence générale », explique Me Dupré.
« L’élément qui pourrait défaire cela, c’est que chaque auteur, compositeur, créateur a un droit moral sur son oeuvre, poursuit-elle. C’est un droit qu’il peut exercer comme il l’entend à partir du moment où il est au courant d’une situation et qu’il ne veut pas que son oeuvre soit utilisée dans un contexte donné, soit en association avec une idéologie, un produit, un service. Il peut alors décider de demander qu’on arrête l’utilisation de son oeuvre dans un contexte X. »
Et qu’en est-il dans le cas d’un artiste étranger ? « Le droit moral est assez universel, c’est un droit d’intégrité à l’oeuvre, et la provenance de l’artiste n’a pas d’incidence en tant que telle. Au Canada, la licence générale donne ouverture à l’utilisation de l’ensemble du répertoire, qui est géré par la SOCAN. Cela comprend le répertoire canadien et le répertoire étranger par les ententes de réciprocité que les sociétés de gestion ont entre elles pour gérer, par exemple, le répertoire français sur le territoire canadien et vice versa. La Loi sur le droit d’auteur étant une loi fédérale, c’est partout pareil de l’Atlantique au Pacifique. »
Donald Trump ne donnant pas que dans le pop et dans le rock, voici que la famille du regretté ténor Luciano Pavarotti est outrée que son interprétation de Nessun dorma soit associée au candidat républicain. Pavarotti n’a pourtant pas écrit ni composé Turandot.
« Le droit moral est plus rattaché à la création de l’oeuvre, mais il reste quand même que quelqu’un est propriétaire d’une bande maîtresse, on doit donc obtenir l’autorisation d’utiliser cette reproduction en synchronisation avec un événement donné », dit la direction générale de la SPACQ.
Si l’on comprend pourquoi le clan Trump utilise We Are the Champions de Queen pour se crinquer l’ego, on ne saisit pas trop ce que vient faire dans cette campagne tonitruante Calaf déclamant son amour pour la princesse Turandot…
« Du côté de Pavarotti, c’est un petit peu plus nébuleux, car, outre le fait que c’est sa performance qui est utilisée, on ne lui met pas des paroles dans la bouche, le contenu de l’oeuvre n’est pas rattaché à la convention politique en tant que telle. »
Qui sait, les républicains veulent peut-être tenir leurs partisans bien éveillés par l’entremise de Pavarotti : « Nessun dorma ! Nessun dorma ! » c’est-à-dire « Que personne ne dorme ! Que personne ne dorme ! »
« L’idée, c’est que payer une licence donne le droit d’utilisation, mais quand on sait que l’oeuvre va être utilisée dans un contexte bien particulier, on est aussi bien de demander les autorisations requises avant de le faire, parce qu’il y aura un coût à cela. Ce qui est important, c’est, quand on veut utiliser une oeuvre dans un contexte précis d’exploitation, que l’auteur-compositeur et les ayants droit donnent leur approbation », conclut Me Marie-Josée Dupré.