L’éducation culturelle, ce service essentiel

Pendant que Québec consulte pour dépoussiérer sa politique culturelle, Ottawa cogite pour faire entrer la sienne dans le numérique. Le Devoir a voulu aller au-delà de ces réflexions balisées pour dessiner les contours d’une politique culturelle idéale. Dix personnalités se sont prêtées au jeu. Le scénariste et comédien François Létourneau brise la glace.
Comment l’intervention publique a-t-elle compté dans votre carrière ?
Comme artiste, sans l’aide de l’État, je n’existerais pas ou je ne serais pas grand-chose. J’ai été formé comme comédien dans une école gratuite. En fait, les étudiants du Conservatoire ont commencé à payer des droits de scolarité minimes à ma deuxième année de formation. Au théâtre, j’ai joué dans des shows et des compagnies subventionnés et j’en ai subventionné moi-même. La télévision est complètement soutenue par l’argent public. Il n’y aurait pas de séries au Québec sans les subventions. C’est aussi simple que ça. La télévision et le cinéma coûtent cher. Dans une petite société comme la nôtre, le rôle de l’État est fondamental. Cela dit, si je suis capable de parler des politiques culturelles en étant très centré sur ma perspective et mes projets, je discute rarement de ce sujet avec mes amis artistes.
Quel enjeu majeur des politiques culturelles vous préoccupe particulièrement ?
Je dois répondre : l’éducation culturelle. J’observe des lacunes importantes de ce point de vue. J’ai un enfant de huit ans qui fréquente l’école publique. Je constate que les sorties culturelles sont assez minimales. L’État a cette obligation d’intéresser les jeunes à la culture. Ils devraient fréquenter les arts de la scène, visiter des musées, etc. Il y a là un champ d’investissement capital. Les jeunes d’aujourd’hui seront les consommateurs culturels de demain alors nous devrions les initier à un maximum de disciplines artistiques.
Ce n’est donc pas juste une question budgétaire ?
De l’argent, il en manque partout. Je regarde l’école de mon fils, une très bonne école, et je vois bien que de l’argent il en manque aussi en éducation. J’aimerais donc autant un réinvestissement en éducation et en culture. C’est une question d’équilibre.
À quels problèmes particuliers la télévision est-elle confrontée ?
Depuis une dizaine d’années, on a senti les effets concrets des diminutions de budgets considérables. Ces conditions ont des effets sur la manière de raconter les histoires. Si ça continue, on va revenir aux téléromans avec des gens qui placotent dans des décors en carton. En plus, les conditions de tournage très difficiles des séries pour le Web tirent le secteur vers le bas. J’ai tourné une websérie en fournissant mes vêtements, en me maquillant moi-même, sans loge. J’ai fait plein de projets en théâtre sans argent, ou presque. J’ai fait des shows qui rapportaient 150 $ à chacun des artistes au bout du compte, et c’est correct ça aussi. Mais il ne faudrait pas que les producteurs s’attendent à pouvoir reproduire ce modèle partout.
Vous avez beaucoup travaillé pour Radio-Canada. Que souhaitez-vous comme réforme pour le diffuseur public ?
Je voudrais insister sur le défi de la diversité. RC a un rôle super important en culture dans notre société. Le diffuseur public doit cependant favoriser l’éclosion d’une diversité des propositions télévisuelles. Je crois humblement que Série noire a été l’exemple de cette recherche de diversité. La production a coûté cher et n’a pas été super rentable en terme de revenus, mais c’est une émission que je crois conforme au mandat de la télévision publique, qui doit proposer des choses plus audacieuses. Ce serait important de continuer dans cette veine. Je dis toujours que la télévision doit rejoindre tout le monde, sans imposer cette règle à toutes les émissions. On ne peut pas demander à toutes les émissions de ratisser large. La solution, je crois, ce serait de libérer encore davantage Radio-Canada des cotes d’écoute.
C’est ce que vous vouliez dénoncer dans «Série noire» en imaginant un complot pour contrôler les indices d’écoute de la télévision ?
Oui, il y avait une critique d’une certaine télévision racoleuse et conventionnelle. On se bat tous pour le public dans un univers saturé de chaînes. Le réflexe, c’est de limiter le risque et l’inconnu. J’ai réalisé en fait que la télé se nourrit du connu, pas seulement en ramenant toujours les mêmes vedettes, mais aussi en refaisant sans cesse ce qui a déjà été fait. Ma grande fierté dans Série noire, c’est d’avoir mélangé les genres. Et la critique de la télévision, bien que présente, était finalement secondaire. On se voulait surtout ludique et accessible.
Où retrouvez-vous cette audace à la télévision ?
Je suis un cordonnier mal chaussé. Je ne regarde pas beaucoup les téléséries. Je les trouve souvent trop longues. Je regarde des trucs sur Netflix. J’aime beaucoup le cinéma. J’ai recommencé à aller beaucoup au théâtre. Ça me nourrit, ça m’inspire. Ma blonde travaille dans le domaine de l’art contemporain, et elle m’emmène voir des expositions. J’adore ça. Les gens pensent souvent que, parce que j’écris de la télé, mes influences sont télévisuelles. C’est plus ou moins vrai. Mais avant de passer pour un snob, je tiens à dire que mon idole absolue est Jerry Seinfeld et je considère que j’ai appris mon métier de scénariste en regardant son émission, la meilleure de toute l’histoire télévisuelle selon moi !
Quels exemples étrangers vous inspirent en matière de politique culturelle ?
Ma pièce Cheech a été lue à la Schaubühne de Berlin en mars 2005 dans le cadre du Festival internationale Neue Dramatik (FIND). J’ai été très impressionné par l’importance qu’accordent les Allemands à la culture. Une portion du festival était consacrée à l’auteure britannique Sarah Kane. Eh bien, toutes ses pièces étaient montées durant la semaine. La Schaubühne est énorme, avec une troupe permanente et un tas d’activités gratuites ou très abordables. J’ai aussi été impressionné par la forte participation publique. Les salles étaient pleines et le théâtre était tellement vivant. Cet exemple à suivre m’a fait comprendre l’importance d’avoir des institutions culturelles fortes et d’offrir aux artistes des conditions de travail décentes. Nous sommes très forts ici sur les rénovations. C’est très bien et il faut des lieux bien construits. Il ne faut pas pour autant négliger les artistes et les artisans qui s’activent dans ces lieux et en dehors de ces lieux. Il faut donc en même temps des institutions fortes, de petites formes marginales et des créateurs forts. L’écologie de la culture doit demeurer diversifiée et vivante.
Québec et Ottawa consultent
Les deux ordres de gouvernement ont entamé récemment des consultations visant à mettre à jour leurs politiques culturelles pour tenir compte de l’impact du numérique sur la production et la diffusion de la culture.À Ottawa, on souhaite notamment recenser « les mesures à prendre pour stimuler la création, la découverte et l’exportation de contenu canadien », et « déterminer comment aider le secteur culturel à faire face aux changements » induits par le numérique. Les préconsultations à cet égard sont terminées, et le gouvernement annoncera cet été la suite du processus dirigé par la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly.
Québec veut quant à lui réécrire sa politique culturelle adoptée en 1992, en gardant toutefois ses principaux acquis : les structures de la SODEC et du CALQ ; les avancées en matière d’affirmation de l’identité culturelle et de soutien aux créateurs et aux arts ; les progrès enregistrés dans l’accès et la participation des citoyens à la vie culturelle.
Les impacts de la mondialisation, du développement des technologies, de la révolution numérique, des changements démographiques et linguistiques du Québec, de même que la transformation des habitudes de consommation culturelle des Québécois seront analysés. Objectif final : « favoriser une présence accrue de la culture dans toutes les sphères de la société ».
C’est le ministre de la Culture, Luc Fortin, qui est responsable de ce dossier pour le gouvernement Couillard. Des audiences publiques se tiennent jusqu’au 26 août à travers la province. Guillaume Bourgault-Côté
