La transmission comme gage de survie

De toutes les langues autochtones du Nord, c’est la langue groenlandaise qui est la plus stable et la mieux protégée. C’est une langue du même groupe que l’inuktitut, parlé par les Inuits du Nunavik, dans le Nord du Québec, et que l’inupiaq, parlé entre autres au nord de l’Alaska.
Il faut dire que le groenlandais a joui d’une protection remarquable et que la langue est enseignée du primaire à l’université. C’est ce que disait hier le linguiste Richard Compton, qui organisait en fin de semaine un congrès international sur les langues autochtones, en collaboration avec l’Université du Québec à Montréal. « Ils ont fait en sorte que le groenlandais devienne la langue de la vie, de l’école à l’université. C’est un bon exemple de ce qu’on peut faire pour protéger une langue ».
Le congrès The Workshop on Structure and Constituency in Languages of the Americas (WSCLA), qui se tenait à Montréal, ratissait large. On y a accueilli des spécialistes autant du michif, ce mélange de français et de cri, du mohawk et de l’inuktitut que de la langue maya ou de l’uto-aztèque.
À l’arrivée des Européens, il se parlait environ 300 langues différentes en Amérique, selon la chercheuse Marianne Mithun. « De ce nombre, plus d’un tiers a disparu », écrivait-elle déjà en 1999. Mithun recense une cinquantaine de familles de langues autochtones en Amérique. Les familles varient énormément en taille et en nombre de locuteurs. La famille de l’algonquin-ritwa, par exemple, regroupe une trentaine de langues et s’étend du Labrador à la Caroline du Nord, puis vers l’ouest, jusqu’au Pacifique.
En étudiant les langues autochtones, les chercheurs tentent de trouver de nouveaux indices sur le comportement humain. « Pendant le dernier siècle, la recherche s’est concentrée sur les langues occidentales », dit Richard Compton, qui enseigne également la linguistique à l’UQAM. « En ajoutant l’étude d’autres langues, on peut mieux comprendre le langage. »
Dans la langue inuktitute, par exemple, qui est parlée par les Inuits, un seul mot peut contenir un verbe, un complément d’objet, et même des éléments de négation ou de connotation. En ce sens, les mots de la langue inuktitute fonctionnent comme des phrases. Et cette façon de faire pourrait donner un éclairage nouveau sur la façon dont se forment les mots dans n’importe quelle langue, poursuit M. Compton.
S’il est vrai que de plus en plus de dictionnaires et de manuels sont créés pour servir à l’éducation en langue autochtone, c’est bien à la maison, dans la toute petite enfance, que la véritable transmission de la langue se déroule.
« Pour qu’une langue soit stable, le plus important, c’est que la langue soit transmise aux enfants et que les enfants adoptent la langue comme langue quotidienne dans la communauté, poursuit M. Compton. Le fait d’avoir des dictionnaires et des grammaires est très utile dans des programmes de revitalisation par exemple, mais le plus important, c’est vraiment la transmission ».
Selon la position géographique des communautés, selon la trace qu’a laissée l’éducation dans les pensionnats, la vitalité des langues autochtones au Canada varie énormément d’une communauté à l’autre. Dans certaines communautés, des familles peuvent favoriser le français ou l’anglais au détriment de la langue autochtone, pour permettre une meilleure intégration au travail par exemple. Lorsqu’une langue est vivante, elle se régénère elle-même. Pour désigner un ordinateur, par exemple, les Inuits ne se sont inspirés ni de l’anglais ni du français. « Ils ont utilisé un terme inuktitut qui s’apparente à celui qui désigne le cerveau », dit Richard Compton.