Sol réincarné

Le clown clochard Sol se réincarne… en femme. Pour l’une des rares fois depuis le décès de son créateur Marc Favreau, les maux et les mots du clown Sol reviendront sur scène, dans la bouche d’une comédienne française. C’est Marie Thomas qui arrive de l’Hexagone pour les porter jusqu’à nous.
Marie Thomas est l’invitée de l’Université de Foulosophie, qui propose cette année pour son symfolium, présidé par François Gourd, l’inénarrable foulosophe et artiste multi-indisciplinable, un hommage à Sol.
La comédienne a découvert les textes de Marc Favreau alors qu’elle étudiait au conservatoire avec le metteur en scène du spectacle, Michel Bruzat. « La grande force de Sol, c’est d’être rien. Ça lui permet de jouer à tout », écrit Bruzat. Pour Marie Thomas, « c’est un personnage qui n’a rien à perdre ».
Dans un collage de textes de différents auteurs, les textes de Sol, soit La petite marionnette sans ficelle et L’adversité, faisaient inévitablement mouche auprès du public. Des années après que Marie Thomas eut terminé ses études, qu’elle eut autant joué Molière qu’Alfred Jarry, le projet de monter un spectacle entier avec les textes de Sol a refait surface.
Il faut dire aussi que les mots inventés de Sol sont compréhensibles dans toute la francophonie. Marie Thomas les a même joués devant un auditoire créole, qui s’y retrouvait parfaitement. « Une auditrice m’a dit que c’était comme une langue étrangère qu’on comprendrait », dit-elle.
Le spectacle de Marie Thomas, qui s’intitule Comment va le monde ?, reprend divers textes de Favreau, dont Fleur de Fenouil, une lettre d’amour à sa femme, Coupe tes ficelles, dans laquelle il exhorte une jeune fille à prendre son indépendance, mais aussi Le fier monde, un monologue géopolitique sur ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien. Une guerre froide plus tard, ce texte est toujours d’actualité. « Et tout ce monde-là ça bavaroise gentiment, ça psycause de guerre et paix, ça donne des incohérences de presse tout en grignotant une petite coalition, à la bonne franquiste, dit Sol. […] on s’arrache les cinq condiments, on se tire sur la pipeline, on déterre les moratoires, on se traite de musulmenteurs, et ça pétarabe, ça pétarabe, ça pétarabe… »
« J’aimerais jouer ce spectacle longtemps », dit Marie Thomas. Elle souhaiterait même en faire une tournée dans l’ensemble des pays francophones. « En France, il y a une partie du public qui a déjà vu des spectacles de Sol, mais il y a aussi toute une partie de l’auditoire qui ne le connaît pas du tout. »
Marie Thomas n’a elle-même jamais rencontré Marc Favreau, et n’a non plus assisté à aucun de ses spectacles. C’est vraiment dans les textes que son spectacle puise sa source. « J’ai regardé quelques extraits de ses spectacles sur YouTube, mais j’ai vite arrêté », confie-t-elle. Le Sol qu’elle propose n’imite pas le Sol ancien, c’est une nouvelle mouture de son cru. Elle ne porte pas son costume. Sur scène, on ne retrouvera donc pas la poubelle du clown clochard, ni le pain tranché ou la baignoire qui l’accompagnaient dans l’émission pour enfants Sol et Gobelet. « Ne vous attendez pas à retrouver le Sol que vous connaissez », avertit-elle. Le Sol de Marie Thomas n’a qu’une marguerite pour amie. Elle est cependant accompagnée d’une valise surprise qui peut se transformer en loge. Au début et à la fin du spectacle, elle s’inspire d’ailleurs de certaines images de Sol dans sa loge, au moment du maquillage, avant d’entrer en scène. À l’époque, Marc Favreau entendait le public qui entrait dans la salle, « tout dans la tête, tout dans les poches, tout seul ». « Toujours l’appréhension, écrivait-il alors. Combien de monde ce soir ? »
Devenir libre
Alors que le personnage de Sol a pris naissance dans le monde des émissions pour enfants pour ensuite conquérir les scènes adultes, Marie Thomas s’est approchée du monde du cirque et du théâtre pour enfants au fil des ans. Elle a aussi joué des textes de Raymond Devos, autre adepte des jeux de mots rompu au sens de l’absurde.
Faire le clown équivaut pour elle au fait de devenir libre, de retrouver une enfance, une part d’enfance, le coeur de son individualité. Même si le spectacle Comment va le monde ? vise plutôt un public adulte. Mais Marie Thomas ne se considère pas comme une clownesse. « Le clown crée son propre personnage », comme Marc Favreau l’a fait, « moi, j’ai besoin des textes des autres ».
Et les textes de Sol, avec ces « mots-fusées qui éclatent sans blesser », pour citer de nouveau Michel Bruzat, elle les croque comme une gourmandise. Quant au fait qu’elle soit une femme qui s’approprie les paroles d’un homme, elle ne s’y attarde pas très longtemps. « Je ne l’aborde pas vraiment au féminin », dit-elle.
Joint au téléphone, le fils de Marc Favreau, Patrice, se réjouit de la nouvelle vie que la comédienne française donne aux mots de son père. Au Québec, peu de comédiens professionnels ont encore osé porter les mots de Marc Favreau sur scène, un peu comme si on craignait de profaner un monstre sacré. Dans la valise-loge de Marie Thomas, elle traîne aussi une édition enregistrée du spectacle, mise en vente par les éditions Camino verde. Une façon de garder un peu de la mémoire de Sol, et un peu de la mémoire de Marie Thomas, à sa suite.