«of the North»: la controverse se poursuit

Le film of the North, du cinéaste Dominic Gagnon, continue de faire couler de l’encre, même s’il a été retiré in extremis de la programmation des Rendez-vous du cinéma québécois. Alors qu’un groupe de cinéastes a dénoncé son retrait au nom de la liberté d’expression, certains ténors du monde autochtone continuent de s’opposer vigoureusement à sa diffusion. De plus, le cinéaste Dominic Gagnon propose un visionnement en ligne de son film le 7 mars sur YouTube. Et le directeur des Rendez-vous du cinéma québécois, Dominique Dugas, continue d’espérer pouvoir diffuser le film dans un contexte favorable, en dehors du festival.
Le film, donc, est un collage de 75 minutes de vidéos récoltées sur YouTube, une technique que son auteur, Dominic Gagnon, a développée depuis une dizaine d’années, après avoir expérimenté le cinéma direct. of the North est donc basé uniquement sur des vidéos mises en ligne par des habitants du Nord, dont un grand nombre d’Inuits, sans voix hors champ et sans mise en contexte. Lorsqu’on lui demande s’il considère que of the North est un documentaire, Dominic Gagnon répond que non. Il croit cependant que la « ligne est mince » entre le documentaire et, disons, une autre forme d’art cinématographique. « Je suis un artiste, dit-il, pas un journaliste. »
Pied de nez
Le titre de of the North est une sorte de pied de nez au célèbre film Nanook of the North, réalisé par John Flaherty en 1922. On sait que plusieurs séquences de ce film, qui se voulait un documentaire sur la vie des Inuits, avaient en fait été mises en scène par Flaherty.
À défaut de s’être rendu lui-même dans le Nord pour tourner son documentaire, Dominic Gagnon estime avoir visionné la quasi-totalité des vidéos provenant du cercle arctique qui ont été téléversées sur YouTube. Pour ce faire, il a sélectionné différentes localités nordiques sur un moteur de recherche et a récolté les vidéos qui y étaient rattachées. Dans certains cas, la scène filmée ne se déroule pas dans le Nord. C’est le cas de celle montrant une Inuite nue, sur les genoux d’un cinéaste de pornographie. La scène a été tournée en Californie, reconnaît Gagnon, mais elle était liée à la localité du Nord dont est originaire la jeune femme. Quatre-vingt-cinq pour cent des images de of the North proviennent du cercle polaire, dit-il, de l’Alaska à la Russie.
La démarche de Gagnon consiste donc à mettre ensemble diverses autoreprésentations des gens glanées sur Internet.
Protestation
Le tout met en furie André Dudemaine, directeur du festival multidisciplinaire Présence autochtone, qui qualifie le film de « ramassis d’images abjectes » « inopportun » et « irresponsable ». « C’est une façon d’humilier les peuples autochtones », dit-il. Dudemaine s’en prend entre autres au montage aléatoire des images, qui fait se côtoyer par exemple un festin de chair de mammifère marin avec des scènes de vomi, ou encore une image de sexe de femme et un derrière de chien. Il a même qualifié la programmation initiale de of the North aux Rendez-vous du cinéma québécois de « geste de guerre » envers les Premières Nations.
Dominic Gagnon affirme pour sa part qu’il ne faut pas voir dans son film de « montage associatif ».
Après avoir prévu la diffusion du film aux Rendez-vous du cinéma québécois, le directeur, Dominique Dugas, a décidé de le retirer de la programmation parce qu’il n’avait pas réussi à réunir des acteurs du milieu représenté, soit des Inuits, pour en discuter après la projection.
« On avait prévu le présenter avec une contextualisation,dit-il, avec des gens de la communauté inuite qui pourraient venir faire valoir leur point de vue étant donné la nature controversée et les récriminations adressées. On n’a pas été en mesure de le faire. On n’a pas réussi à trouver des gens qui étaient à l’aise à venir parler en public. »
Demandes de retrait
Le fait est que l’automne dernier, la chanteuse inuite Tanya Tagaq a exigé que Dominic Gagnon retire de son film les extraits de ses chants de gorge qu’il avait glanés sur Internet. Le cinéaste admet d’ailleurs que d’autres habitants du Nord l’ont contacté pour lui demander de retirer de son film des extraits qu’ils avaient eux-mêmes publiés auparavant sur YouTube, et qui « y sont encore », dit-il.
Dominic Gagnon affirme l’avoir fait de bonne grâce, quitte à devoir présenter un film où se trouvent des noirs et des silences. Il croit cependant que légalement, il demeure en droit d’utiliser toute la matière mise en ligne sur YouTube, tant qu’il ne l’utilise pas à des fins commerciales. Son film a été présenté dans différents festivals de documentaires, dont au festival Vision du réel, en Suisse, où il a été récompensé d’un prix.
En entrevue, il convient par ailleurs que YouTube met principalement en scène des situations marginales. En général, dit-il, les scènes banales de la vie quotidienne en sont exclues, et les gens y présentent plutôt des scènes plus sensationnalistes.
Il poursuit cependant sa démarche. Il travaille présentement à un film sur le Sud, fabriqué de la même manière, à partir de vidéos de YouTube en provenance cette fois de la zone des tropiques.
Pour en savoir plus
Nous continuons à chérir la liberté d’expressionUn texte collectif de plusieurs artisans du milieu du cinéma, dont Bernard Émond, Robert Morin, Denis Côté et Anne Émond, qui s’élèvent contre le retrait du film des Rendez-vous du cinéma québécois.
Les cinéastes qui ont signé la lettre ont ignoré ce mot : privilège
Un texte d’une jeune cinéaste, Léa Marinova, qui s’élève plutôt contre cette prise de position et qui exprime sa solidarité avec le peuple inuit dans cette histoire.