Des machines et des êtres humains

Le festival s’ouvrira avec «Cycle», un spectacle basé sur la manipulation de roues à vélo.
Photo: QUARDr Le festival s’ouvrira avec «Cycle», un spectacle basé sur la manipulation de roues à vélo.

Des bombes qui tuent, la crue des eaux qui menace, des populations qui fuient, des inégalités sociales qui s’amplifient. Le monde va mal. Et les raisons de se réjouir se font rares, sauf, peut-être, en art.

C’est du moins ce que le 17e Mois Multi, festival international d’arts multidisciplinaires et électroniques qui débute en ces premiers jours de février, tentera de montrer. Avec cran : les 37 spectacles et expositions à l’affiche voudront nous réenchanter, comme le défend la nouvelle commissaire, Ariane Plante. Celle qui prend la direction artistique des prochains Mois Multi relie d’un long « fil rouge » sa première sélection : « l’attention au monde », une expression empruntée au cinéaste Bernard Émond.

« Le réenchantement, je le vois comme un axe de réflexion que j’approfondirai progressivement pendant trois ans », précise-t-elle, au téléphone, disant avoir favorisé en 2016 des oeuvres lentes, délicates et fragiles.

Alexis Langevin-Tétreault croit que l’art est une échappatoire nécessaire. « Il faut avoir des moments où l’on célèbre, communique de la joie, de l’énergie, des forces positives, même si ça ne change pas le monde », dit le compositeur et multi-instrumentiste membre du groupe QUADr.

Lui et ses trois complices (Pierre-Luc Lecours, Myriam Boucher, Lucas Paris), tous formés en musique numérique, ouvriront le festival avec Cycle, un spectacle basé sur la manipulation de roues à vélo. L’émerveillement viendra des effets acoustiques et des projections d’ombres créés en direct. Et de la capacité du groupe à transgresser les genres, notamment le leur, si immatériel.

« Nous arrivons de la musique fixe, acousmatique. Mais nous ne voulions pas d’un spectacle d’ordinateurs. Notre idée était de faire une performance physique, avec beaucoup d’énergie et de mouvement, proche du spectacle rock. »

« On a besoin [du réenchantement] de nos jours », dit pour sa part Philippe Lessard-Drolet, du Théâtre Rude Ingénierie (TRI), une compagnie de Québec. « C’est pourquoi à la fin de nos spectacles, j’espère apporter une fraîcheur, un réconfort dans la découverte de ce qui nous entoure. »

TRI aura double présence cette année : (Entre), un spectacle très physique, où la rencontre de deux personnages provoque de multiples étincelles, et Venise, une véritable fête, rythmée autant par des instruments analogiques que des ordinateurs, choisie pour clore le festival.

Candeur lucide

 

Ariane Plante voit dans de tels enchantements une « candeur lucide ». « Il ne s’agit pas de fuir la réalité, les solutions ne sont pas dans la fuite. Mais j’avais envie d’un regard différent sur le monde. Pour montrer qu’un autre espace est possible qui permette de mieux réfléchir notre monde, de le construire autrement », dit-elle.

Construire autrement, c’est ce qui fait avancer Frédérique Laliberté et Philippe Lauzier. Déjà couple dans la vie, ils ont formé en 2015 le collectif Motel Hélène, du nom d’un « horrible et séduisant » établissement de Victoriaville où ils se sont rencontrés. C’est leur première oeuvre, Le parc est dans la boîte, un spectacle-installation porté par la bricole et des captations vidéo en plans fixes, qu’ils présentent à Québec.

« On fabrique sur place, à la main, des objets en carton. Ça peut se casser à plein d’endroits. La vie passe par la fragilité, avance Frédérique Laliberté. La simplicité m’enchante. Je suis renversée par des trucs démesurés, faits avec peu de moyens. »

Motel Hélène a recours aux ordinateurs, bien sûr. Pour le volet sonore, pour la réalisation d’images, pour la dimension aléatoire du spectacle. Les machines demeurent cependant dans l’ombre. Et le rendu tire vers le gros grain et les couleurs vives plutôt que vers la haute définition.

Cette prédilection pour la culture low-tech semble être un autre fil rouge du Mois Multi. « La mauvaise qualité », pour Philippe Lessard-Drolet, du TRI, permet de baigner dans l’ambiguïté. « Il y a tellement peu de pixels que l’image est à peine reconnaissable », soutient celui qui décrit par ailleurs la scénographie de (Entre) comme un véritable bricolage porté par 42 spots d’éclairage bien apparents.

Ariane Plante estime que notre époque est due pour admettre que « la fascination pour le bidule technologique » est dépassée. « Le réenchantement ne passe pas par la technologie. J’ai une certaine désillusion pour le progrès. Il faut entamer un retour vers des choses fondamentales, vers des expériences plus sensibles », commente-t-elle.

Ses Mois Multi, souhaite-t-elle, ouvriront des brèches dans la sphère dite encore trop souvent des nouveaux médias. Reste que sa programmation poursuit dans la même veine que celle de la Manif d’art de 2012 — celui du thème Machines, de la commissaire Nicole Gingras — et dans certaines propositions de la Biennale de Montréal 2014, notamment le travail du duo Richard Ibghy Marilou Lemmens : celle de penser l’avenir par un enchantement davantage transparent et visible, qu’obscur et magique.

Mois Multi, à la coopérative Méduse (591, rue de Saint-Vallier Est) et dans une dizaine de lieux et de centres d’artistes de Québec et de Lévis, du 3 au 27 février.

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