Le journal d’Anne Frank disponible en ligne malgré la bataille de droits

En France, le 1er janvier, le maître de conférence Olivier Ertzscheid et la députée Isabelle Attard ont, comme promis, mis en ligne l’intégralité du journal d’Anne Frank en version originale.
Jusqu’à preuve du contraire, le journal d’Anne Frank, dans sa version originale en néerlandais, est aujourd’hui dans le domaine public. Et, comme promis, la députée du Calvados Isabelle Attard et le maître de conférence et blogueur Olivier Ertzscheid ont mis en ligne le texte malgré l’avis et les menaces du Fonds Anne Frank, bénéficiaire et gestionnaire des droits de l’oeuvre.
Une oeuvre est-elle ou pas dans le domaine public ? La réponse n’est jamais simple puisqu’il n’existe pas de définition positive de ce statut particulier d’une création de l’esprit. En gros, le domaine public s’entend par défaut et concerne tout ce qui n’est plus soumis à des droits d’auteur patrimoniaux. Et les règles qui régissent ces droits et leur extinction sont nombreuses et complexes. Il suffit donc qu’un ayant droit s’appuie sur une lecture particulière de ces textes de loi pour être en mesure de contester le statut de bien commun d’une création. C’est le coeur même de l’affaire qui entoure le célèbre journal.
Bataille de dates
On résume : le maître de conférence et blogueur Olivier Ertzscheid apprend début octobre que le Fonds Anne Frank, bénéficiaire des droits du journal, conteste l’entrée dans le domaine public de l’oeuvre au 1er janvier 2016, soixante-dix ans après la mort de la jeune diariste. Le Fonds s’appuie sur le fait que la première version publiée en 1947 a été retravaillée (coupée surtout) par le père de l’auteure, qui est mort en 1980, ce qui repousserait l’entrée dans le domaine public à soixante-dix ans après la mort de ce dernier, à savoir 2050. Pour la version complète, publiée en 1986, l’institution se réfère à la loi en vigueur à l’époque, à savoir un délai de cinquante ans après la date de parution, 2036 donc.
Olivier Ertzscheid se fend alors d’un texte, « Chère Anne Frank », dans lequel il s’émeut de ce qu’il considère être un abus manifeste. Et il entend le combattre : « Anne, très chère Anne, je t’écris cette lettre pour te demander la permission de ne pas attendre 2050. À la fin de ce message, je mettrai en ligne ton journal. En faisant cela, j’accomplirai un acte illégal. Il est probable que “ton” éditeur ou que ceux qui se disent gestionnaires du fonds qui porte ton nom, il est probable qu’ils m’envoient leurs avocats, me somment de retirer ce texte, me condamnent à payer une amende. » Il met en ligne à la suite de son message les textes des deux versions du Journal d’Anne Frank en français.
Un acte qui ne passe pas inaperçu et qui est suivi par de nombreux autres acteurs de la cause des biens communs (Romaine Lubrique, Lionel Maurel, etc.) qui mettent aussi le texte en ligne.
Olivier Ertzscheid retire les textes un mois plus tard à la suite d’un courrier du Livre de poche qui appuie sa demande en se basant sur le droit des traducteurs, mais il confirme qu’il mettra en ligne le texte en version originale le 1er janvier 2016. Même promesse du côté d’Isabelle Attard, qui a soutenu cette initiative depuis le début de l’affaire.
Ce n’est que quelques jours avant la date fatidique, en début de semaine, que le Fonds Anne Frank se décide à sortir de sa réserve et envoie par l’intermédiaire de son avocat des courriers d’intimidation aux deux principaux protagonistes. Peine perdue.
La suite de l’affaire se passera probablement devant un juge qui devra statuer sur la validité des arguments du Fonds, car ceux du camp d’en face ont le mérite de relever de l’évidence : Anne Frank est morte il y a soixante-dix ans, en 1945, dans le camp de Bergen-Belsen, et son oeuvre appartient aujourd’hui à l’humanité entière.