Soeurs d’armes

Joan Bamford Fletcher a 27 ans lorsqu’en 1945, elle est envoyée en Indonésie. La Seconde Guerre mondiale s’étire, repoussée jusque dans les derniers retranchements du monde. La jeune Canadienne, originaire de la Saskatchewan, fait alors partie du First Aid Nursing Yeomanry, un organisme caritatif britannique exclusivement féminin. Loin de ses Prairies natales, basée à Sumatra depuis quelques mois à peine, elle participe à la libération de près de 2000 Hollandais, qu’elle guide ensuite à travers les méandres de la jungle tropicale.
Des histoires comme celle-là, on en compte des dizaines dans nos archives collectives et elles sont à l’honneur dans l’exposition qui prend tout juste racine au Musée canadien de la guerre, à Ottawa. Ce sera l’occasion de plonger dans la vie de ces femmes ouvrières, femmes soldates, femmes infirmières qui relatent aujourd’hui, aux côtés de leurs vis-à-vis masculins, l’histoire militaire du pays.
Longtemps invisibles, ces pionnières, dont les histoires attendent depuis de nombreuses années d’être racontées, ont porté le Canada sur leurs épaules pendant les longues années de conflit qui ont secoué le XXe siècle. D’abord au coeur de leur foyer, d’où elles ont vu partir leurs frères, leurs maris et leurs fils. Elles ont tranquillement pris d’assaut les usines et autres chaînes de ravitaillement alors que la guerre de tranchées faisait rage en Europe.
Pour permettre une meilleure compréhension et une certaine intimité avec ces nouvelles héroïnes, l’équipe derrière l’exposition a décidé de miser sur les histoires personnelles de ces dernières plutôt que sur une approche générale. Ici, la grande histoire — celle qui raconte le début de l’émancipation des femmes qu’ont permis, par la bande, ces meurtriers conflits — s’entremêle avec celle des femmes qui y ont contribué, jour après jour.
« Nous voulions donner la parole à ces femmes qui ont donné une partie de leur vie — et, bien souvent, celle de leurs proches — pour servir une cause plus grande qu’elles », souligne Stacey Barker, historienne et conservatrice de l’exposition. C’est donc par leurs mots et même quelquefois carrément par l’entremise de leur voix que l’exposition se dévoile aux visiteurs, un peu comme si un pan de la mémoire de ces témoins de première lige était déployé sur les murs du musée. À ces récits s’ajoutent photographies, tableaux et autres artefacts qui redonnent vie, le temps d’une brève incursion dans le passé, à ces femmes qui, chcaune à a leur manière, « ont contribué aux combats ».
Au fil des témoignages — de la simple anecdote aux grandioses exploits militaires —, le visiteur est ainsi invité à s’immiscer dans le quotidien de celles qui, d’un océan à l’autre, ont appris à jouer un rôle à mesure que les combats s’intensifiaient en Europe. « Nous voulions aussi montrer la diversité des expériences, lance Molly McCullough, spécialiste du développement créatif de l’exposition. Il n’y en a pas une qui a la même histoire à raconter. »
L’immersion dans ces brides quotidiennes permet aussi aux curieux de mieux comprendre la manière dont la réalité de ces femmes a été chamboulée au cours de ce siècle tumultueux. De reines du foyer, elles ont rapidement été catapultées dans les usines et mises à contribution pour l’effort de guerre.
« Elles sont des centaines à avoir fabriqué des munitions et assuré le rationnement au sein des familles canadiennes, ajoute l’historienne. Il y a même de la propagande qui ciblait directement les femmes, ce n’est pas peu dire. »
Divisée en cinq sections qui représentent toutes une thématique que l’équipe a voulu cibler (bénévolat, service, travail, pressions sur la vie domestique, inquiétude et perte), l’exposition est aussi l’occasion de mieux comprendre de quelle manière la place des femmes a évolué entre les deux conflits. « Lors de la Première Guerre mondiale, les femmes qui voulaient s’impliquer ne pouvaient le faire qu’en devenant infirmières, raconte Stacey Barker. Mais, dès les balbutiements du second conflit, les premiers services armés féminins ont été mis sur pied. Certaines se sont même retrouvées dans l’aviation. » En tout, c’est près de 50 000 femmes qui se sont enrôlées et envolées outremer.
Au-delà des transformations sociétales, l’exposition vise surtout à rendre hommage à ces femmes, à leur histoire et aux êtres chers sacrifiés au combat. « Nous voulions que les visiteurs ressentent leur perte, explique Molly McCullough. Quand elles ne sont pas devenues veuves, elles sont devenues des mères orphelines. Elles sont rares, celles qui sont sorties de ces combats le coeur indemne. »
Au premier conflit mondial, les femmes qui voulaient s’impliquer ne pouvaient le faire qu’en devenant infirmières. Mais, dès les balbutiements du second, les premiers services armés féminins ont été mis sur pied. Certaines se sont même retrouvées dans l’aviation.