Collectionner, mais aussi communiquer

Ce texte fait partie du cahier spécial Musées
Le visiteur de musée fut longtemps, à une époque lointaine, perçu comme encombrant, surtout s’il n’était pas un chercheur, un initié ou un riche collectionneur. Cette position élitiste ferait maintenant figure d’hérésie dans le milieu de la muséologie, qui a pris depuis un bon moment le virage « visiteur », pour ne pas dire « client ».
Le virage est perceptible un peu partout à travers le monde, et la muséologie québécoise a contribué de façon exceptionnelle à cette approche, car il ne suffit plus de collectionner, mais de communiquer. Raymond Montpetit, muséologue, historien d’art et professeur associé à l’École de muséologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), réfléchit depuis un bon moment à « l’expérience du visiteur ». C’était le thème principal du congrès organisé par la Société des musées du Québec (SMQ) qui s’est tenu à Lévis du 28 septembre au 1er octobre, ainsi que le sujet de la conférence d’ouverture de celui qui fut également consultant pour de nombreux musées québécois au cours des trente dernières années.
Si ce fameux visiteur a énormément changé depuis les dernières décennies, c’est aussi parce que les musées se sont passablement transformés, constate le spécialiste sans aucune nostalgie. « Avant, quand on allait dans un musée, on y allait une fois pour la vie, car peu de choses changeaient. Avec la multiplication des expositions temporaires, les musées sont devenus des producteurs culturels à part entière. » Pour attirer un public nombreux et diversifié, le battage publicitaire devient essentiel, forçant ainsi la direction des musées à explorer les rouages du marketing, ce qu’ils ne faisaient pas du tout avant le début des années 1980.
Or, il ne suffit pas de créer l’événement sur la scène médiatique, encore faut-il savoir livrer la marchandise, la rendre accessible, compréhensible, attrayante, voire ludique. Raymond Montpetit souligne que l’histoire de la muséologie est parsemée de moments déterminants qui ont dépoussiéré les mentalités et ouvert les portes de ces institutions attirant aux quatre coins de la province en 2013, selon l’Institut de la statistique du Québec, 14,2 millions de visiteurs. Une impulsion importante fut donnée, et ce, dès les années 1930, par le National Park Service des États-Unis, soucieux de la préservation et du développement, mais aussi de l’interprétation : il ne s’agissait pas pour eux d’objectifs, mais d’obligations. « Il y avait des guides-interprètes partout,précise le muséologue. On se devait de répondre aux questions des visiteurs. Dans les bonnes années de Parcs Canada, on avait la même approche, ce fut une grande école de muséologie pour beaucoup de Québécois, mais les choses ont bien changé… »
Autre tournant majeur dans l’histoire de la muséologie québécoise, et qui par la suite fera école un peu partout : la tenue de l’Exposition universelle à Montréal en 1967. Pour le professeur de l’UQAM, il s’agit d’un électrochoc. « Les gens découvraient des pavillons qui présentaient l’histoire de civilisations, de pays et de cultures du monde dans un design et avec des technologies de l’époque. Une vraie révolution pour les visiteurs, surtout ceux du Québec. Ça jouait avec tous les sens : il y avait du son, de la musique, de la lumière, du spectaculaire, et bien sûr des oeuvres d’art ! Quand on comparait ça avec nos salles de musées… »
Centré sur les visiteurs
Terre des hommes fut donc un formidable territoire d’expérimentations pour de jeunes designers qui réinventeront plus tard la manière de concevoir des expositions, comme au Musée de la civilisation de Québec, ouvert en 1988. « Quand il est né, on disait avec un peu d’ironie que l’objet le plus étudié dans ce musée-là, c’est le visiteur ! Mais je trouve qu’ils avaient raison. Ce musée a été fondé dans cette nouvelle logique centrée sur les visiteurs. On cherchait à connaître ses habitudes, ses intérêts, sa provenance. » Aujourd’hui, ces questions sont monnaie courante pour permettre aux musées de répondre aux attentes de ceux et celles voulant « trouver du sens et du plaisir », comme le rappelle Raymond Montpetit.
La partie est toutefois loin d’être gagnée pour assurer une réelle fidélisation des visiteurs, sollicités de toutes parts et très exigeants. Pour les institutions, grandes et petites, voilà un défi permanent. « Dans ce contexte, la tâche des musées augmente. Car il ne faut pas seulement s’occuper du visiteur dans la salle d’exposition, mais tenir compte aussi de l’accueil, du restaurant, de la boutique. De plus, la présence sur le Web est essentielle pour prolonger l’expérience du visiteur et rejoindre les internautes, eux aussi visiteurs de musées. D’ailleurs, plusieurs grands musées distinguent maintenant l’équipe en salle et celle sur Internet : ça ne se fait pas en criant ciseau, mais en investissant de l’argent. »
Cette accélération de la numérisation des activités muséales, dont la mise en ligne des collections (« Une chose importante que le public ne voit pas », souligne Raymond Montpetit), ne fait pas perdre de vue les missions principales du musée. Mais avec la prolifération des tablettes et des gadgets, le musée est-il passé du temple de la contemplation à celui de l’interaction ? « Ce n’est pas faux, admet le spécialiste. Avant, on ne faisait que deux choses dans les musées : contempler et lire. Aujourd’hui, on donne encore beaucoup de choses à regarder, mais on nous permet aussi d’interagir. Car il ne faut pas négliger l’importance sociétale de la visite. D’ailleurs, la plupart des spectateurs viennent en petits groupes, et c’est un aspect important que les musées doivent considérer pour comprendre ce que chacun retire. Plus de savoir ? Plus de sensibilité ? »
Raymond Montpetit reconnaît toutefois que la tâche des musées s’effectue à une époque « où les frontières sont un peu brouillées ». Selon lui, « le musée est à la croisée du cognitif, du culturel, du divertissement et du commerce. Mais il ne doit pas oublier que sa première mission, c’est de servir le public. »
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