La classe de monsieur Noah

Premier humoriste sud- africain à apparaître au Tonight Show de Jay Leno et au Late Show de David Letterman en 2012, Trevor Noah est encore assez peu connu chez nous — bien qu’il soit venu nous rendre visite en 2013 alors qu’il assurait la première partie du spectacle de Dave Chapelle et participait au gala d’Eddie Izzard. Si l’on se fie à l’accueil qui lui a été réservé au gala Just For Laughs qu’il animait jeudi soir à la salle Wilfrid-Pelletier, il y a fort à parier que le public américain s’entichera très tôt de ce beau gosse au sourire ravageur, alors qu’il remplacera, dès septembre, Jon Stewart à la barre du Daily Show — pour lequel il agit à titre de correspondant depuis la saison dernière.
D’un charisme indéniable, d’une forte présence sur scène, l’élégant stand-up a littéralement dragué le public en vantant le charme sexy de son accent. Un peu convenu, vous me direz, mais la salle est aussitôt tombée sous le charme. S’ensuivit une amusante réflexion à propos des usagers du métro qui font tout pour fuir le regard d’autrui. Né d’un père suisse et d’une mère sud-africaine, ayant grandi sous le régime de l’apartheid, Trevor Noah a pour sujet de prédilection l’identité.
C’est ainsi qu’il s’est lancé dans un numéro où il s’est de nouveau moqué de l’accent français, dont l’origine serait liée à l’hygiène douteuse des Français selon lui. Ouille ! On en est encore là ? Puis, il a expliqué que l’accent russe, et non la langue, le terrifiait, conseillant même aux femmes d’adopter cet accent afin de faire fuir les dragueurs indésirables. Oh là ! C’est ce que nous réserve le dauphin de Stewart l’automne prochain ? Si le sujet est, hélas ! facile, l’exécution est, heureusement, habile.
De solides invités
Premier invité de la soirée — chacun étant présenté par Noah comme son humoriste préféré, l’Américain Neal Brennan, qui collabore souvent avec Dave Chapelle, s’est permis de critiquer la manie des femmes de sauter trop vite aux conclusions. Selon son dire, si une enquête de CSI était menée par une équipe féminine, l’épisode ne durerait que cinq minutes. Cultivant habilement le malaise, l’humoriste de Brooklyn Artie Lange, ex-collaborateur au Howard Stern Show, a livré quelques tranches de vie. Grâce à son dealer mexicain, il aurait appris trois phrases en espagnol, lesquelles lui auraient coûté quelques millions de dollars et sa carrière.
Visiblement nerveux, le Canadien Mark Forward a dénoncé l’insignifiance des statuts Facebook. Sans doute que plusieurs ont ri jaune dans la salle. Canadienne née de parents irlandais, la Britannique d’adoption Katherine Ryan a fait rigoler la salle avec ses confidences de mère indigne, se moquant allègrement de l’accent anglais de sa fille de six ans. Pour sa part, l’hilarante humoriste afro-américaine Marina Franklin a raconté ses déboires amoureux avec son ex-petit ami blanc, étrangement obsédé par sa chevelure crépue.
Ayant réussi à faire expulser un spectateur qui s’entêtait à filmer le spectacle avec son téléphone malgré l’interdiction, le corrosif stand-up américain Jeff Ross a fait monter sur scène six spectateurs afin de prouver que les Canadiens avaient le sens de l’humour en improvisant pour chacun d’eux un bien-cuit. Collaborateur au Daily Show, Hasan Minhaj a fait quelque peu pâle figure ensuite, mais s’est vite rattrapé avec une réflexion ironique sur l’immigration.
À la mi-temps, Trevor Noah a servi un second numéro beaucoup plus mordant que son monologue sur les accents. Reconstituant ce qui se serait passé la nuit où Oscar Pistorius a assassiné sa femme, il a détruit chaque argument de l’athlète sud-africain en simulant une chicane de ménage des plus cocasses. Si c’est ce niveau d’humour irrévérencieux qu’il réserve aux spectateurs de Comedy Central, on peut penser que la relève de Stewart est bel et bien assurée.