Gilbert Rozon: en toute humilité

Ayant assisté depuis 1983 à la naissance d’innombrables humoristes, Gilbert Rozon peut témoigner de nombreux autres s’étant éclaté la gueule avec fracas : « Le pire qui peut m’arriver, c’est que je fasse un fou de moi. Si ça ne marche pas, j’aurai honte pendant une semaine, mais je n’en mourrai pas. Il faut que je fasse mon possible pour ne pas trop ennuyer le monde qui aura la gentillesse de se déplacer. Je ne m’en vais quand même pas négocier la paix entre Israël et la Palestine : il n’y a pas d’enjeux, si ce n’est mon ego qui risque d’être égratigné… Et j’en ai vu d’autres ! »
Pour avoir observé autant d’artistes et d’humoristes depuis plus de 30 ans, on doit bien en tirer une leçon ou, du moins, quelques trucs, non ? « Non, pas du tout. Enfin, je crois que cela aide un peu. On peut comprendre certaines choses, mais ce serait très présomptueux. J’ai accepté ce défi comme si j’allais faire une conférence sur une portion de vie. »
Ce défi, c’est Patrick Rozon, cousin au second degré de Gilbert, promu directeur général de Zoofest l’an dernier, qui le lui a lancé. Avec son bagou et son charisme, on pourrait facilement croire que le fondateur du festival Juste pour rire a tout ce qu’il faut pour se lancer dans la gueule du loup mercredi soir prochain. Encore faut-il avoir quelque chose à dire et, surtout, avoir les mots pour le dire.
« J’ai le trac, mais je n’ai pas peur. Je connais les dangers de parler en public, il ne faut pas prendre cela à la légère. Je n’aime pas prendre des notes, alors j’improvise, mais j’essaie quand même de dire quelque chose… Pas toujours avec le même succès. Parfois, on est en forme, ça sort bien et c’est précis. Parfois, on est moins allumé. Là, il faut que je sois droit dans mes bottes pendant une heure et quart. »
Bien qu’il ait renoncé à se lancer en politique, Gilbert Rozon n’en a pas moins un agenda de ministre. Et, à 48 heures de se produire sur scène à Zoofest, cela semble bien l’arranger. De fait, entre les réunions entourant les festivités du 375e anniversaire de Montréal et les journalistes qui se bousculent à la porte de son bureau, l’homme dispose de moins en moins de temps pour penser aux attentes du public.
« Je le ressens physiquement, lance-t-il, bien calé dans son fauteuil. C’est devenu trop gros pour la réalité de ce que c’est. Les attentes du monde m’étonnent. C’est parti comme un challenge que je relevais, ensuite, c’était pour amasser de l’argent pour la Maison du père. Et là, je me réveille comme si j’allais faire un one-man-show, comme si j’avais 200 dates de rodage à mon actif. J’ai de la difficulté à comprendre que des professionnels qui exercent ce métier-là depuis 20 ans croient que moi, en claquant des doigts, je vais être à la cheville de quelqu’un qui a du métier. Et ce n’est pas de la fausse humilité, là ! »
Les quêtes de Rozon
En acceptant de monter sur scène, Gilbert Rozon ne souhaitait pas faire du stand-up à l’américaine ni se faire conteur à la manière de Jean-Marc Parent. Pas plus n’avait-il envie de se créer un style comme un humoriste en début de carrière et encore moins d’incarner des personnages. Ne désirant pas aligner les blagues, doutant qu’il en ait le talent, l’avocat de formation a alors choisi de dévoiler quelques tranches de vie.
Fort de 10 ans d’expérience comme membre du jury de La France a un talent incroyable (pendant français du concours de talent télévisé Britain’s Got Talent), dont il présentera ses coups de coeur lors du Gala incroyable, le 29 juillet, il avoue que cela lui a donné plus d’aisance devant un public, l’envie d’ancrer le spectacle dans la vérité et la volonté d’enrichir son vocabulaire. Sans jamais perdre de sa superbe au cours de l’entretien, l’homme, plus habitué aux coulisses qu’aux feux de la rampe, n’arrivera toutefois pas à cacher ses doutes quant à ce texte qu’il continue de peaufiner.
« J’ai des anecdotes incroyables !, confie celui qui a notamment été enfant de choeur, fossoyeur, imprimeur, vendeur et producteur de spectacles amateurs. J’ai été le producteur de Charles Trenet : avec ça, je pourrais faire une heure ! Il m’est venu l’idée saugrenue — on verra mercredi soir si elle l’est ou pas — de raconter les détours qui m’ont emmené à Juste pour rire. C’est un choix très audacieux, car ce n’est pas nécessairement là qu’il y a le plus d’anecdotes. Il y a eu bien des détours et pas toujours heureux. Il y avait une quête et les doutes — des gros, pas des petits ! — ont fait partie de ma quête. J’espère qu’il y aura de l’émotion, car mes souvenirs ne sont pas tous drôles. »
Alors que l’entrevue tire à sa fin, Rozon laisse échapper qu’il a failli rappeler Patrick Rozon afin de lui dire qu’il voulait changer le contenu. À force de remettre son matériel en question, Gilbert Rozon finira-t-il par se livrer à un strip-tease de l’âme ? « Je ne pense pas aller jusque-là… Il y a peut-être deux ou trois affaires qui vont surprendre le monde, mais non, je ne sais pas… Il ne faut pas que j’y pense trop, parce que vous allez me foutre un doute ! Si je faisais le spectacle 30 fois, je pense que j’aurais relativement de l’assurance, parce que je finirais par faire de quoi et trouver le mot juste, car ce spectacle, c’est aussi la quête de trouver les bons mots. »