Dans l’ADN d’O Vertigo

La création s’est faite de manière très organique, entre elle et les danseurs, sans plan de travail autre que le désir seul de fouiller le mouvement et d’avoir du plaisir en studio. Ici, pas de répétitrice pour jouer les intermédiaires, ni de thématique ciblée ou de scénographie imposante. Seuls les éclairages donnent corps à la danse — et surtout à son élan premier.
« Je voulais explorer l’attaque, l’impulsion, l’amorce du mouvement, comment le danseur se projette à partir d’actions, comment il se projette dans l’espace, explique la chorégraphe depuis son studio au sous-sol de la Place des Arts. Je trouve ça très beau et touchant, la façon dont le danseur va s’élancer, se préparer pour le faire ; quand l’impulsion est vraiment juste, ça vient du centre, de l’intérieur. »
En résulte, d’après un extrait auquel a assisté Le Devoir, une suite de tableaux tantôt extrêmement physiques, frénétiques dans leur élégance, tantôt lentement déployés et recentrés sur un duo, le tout dans une semi-pénombre.
Dans son écrin scénographique plus neutre, Soif semble réveiller des bribes de répertoire d’O Vertigo depuis sa fondation en 1984, dont la création inaugurale, Crash Landing, posait un fulgurant jalon dans l’histoire chorégraphique québécoise. Ici, on capte l’intimité révélée du corps humain de Luna (2001) ; là, les envolées plus poétiques de Passare (2004) ou de La vie qui bat (1999), les décharges d’énergie d’Onde de choc (2012) et toujours ce travail ciselé du duo qui traverse l’ensemble de sa production.
Intention rétrospective ? « Ce n’était pas prémédité », répond-elle en rappelant qu’elle a toujours été « plus proche de l’énergie que de la forme dans le mouvement ». Après tout, l’impulsion, l’élan, le vertige ont toujours été le coeur battant de la compagnie, inscrits dans son ADN.
La trame sonore concoctée par Michel F. Côté alterne entre remixage de la musique de John Cage et des extraits de paroles ébréchées des danseurs, où le geste court-circuite le verbe, et vice-versa. « On a fait des listes d’actions ; pour chacune, les danseurs interprétaient leur façon de mettre en mouvement ces actions en ne retenant que leur amorce. J’ai lié tout ça pour en faire des phrases chorégraphiques et, dans certaines actions, comme le fait de dire son nom, la parole est présente dans la première syllabe de leur nom. »
La mise en valeur des danseurs par ces petites vignettes gestuelles personnalisées, l’écoute, la rencontre, la communion sont autant de quêtes pour alimenter Soif — ou l’avidité de dire par le geste.
Deux époques
Du premier trip de jeunesse à l’âge de la maturité, Robert Meilleur a participé à deux temps de l’histoire d’O Vertigo. Au début des années 1990, il danse dans Train d’enfer et contribue à la création de La chambre blanche. Il reviendra une décennie plus tard, après s’être frotté à d’autres univers, pour la physicalité et la poésie du langage de Laurin, à temps pour Passare. Il remonte La chambre blanche en 2009, qui occupe donc une petite place spéciale dans son corps.
Lors de la première création, « je me retrouvais pour la première fois avec un gros décor, à devoir m’inventer un personnage, et surtout à travailler avec 10 personnes dans un espace restreint. C’était tellement intense que parfois quelqu’un se mettait à pleurer dans un coin… », confie-t-il.
Plus épurée que les autres pièces, Soif met plus que jamais en valeur, selon lui, le travail en duo. « Je trouve incroyable la façon dont elle réussit toujours à réinventer les duos, la gestuelle et les dynamiques dans un couple. »
La recrue
Impossible de ne pas remarquer la nouvelle arrivée (mars 2014) au sein de la compagnie. Petite bombe, Stéphanie Tremblay Abubo a trouvé chez O Vertigo le langage qui sied à son énergie furieuse, après avoir senti un premier déclic lors d’un stage au sein de la compagnie, avant d’être diplômée de l’école du Toronto Dance Theatre en 2010. Elle en apprécie particulièrement le travail de groupe et de partenaires, « un gros cadeau » dans un monde où les grandes troupes se raréfient, et « le côté athlétique, la légèreté, la simplicité », dit-elle. Dans Soif, Ginette Laurin « cherche à nous voir nous-mêmes ; la solution pour que ça marche, c’est toujours : toi, qui es-tu ? »
Les débuts fracassants d’O Vertigo
Elle était du furieux quatuor Crash Landing en 1984, année de baptême de la troupe. « Cela avait eu un succès assez fou à ce moment-là, se rappelle Louise Bédard. Sa signature commençait à se déployer, on n’avait pas vu ça beaucoup encore, cette énergie-là. »À l’époque, la création chorégraphique bouillonnait sur une scène encore relativement vierge, alors que le Groupe Nouvelle Aire venait de cesser ses activités et que le Groupe de la Place Royale avait déménagé ses pénates à Ottawa. Avec Ginette Laurin et Daniel Soulières, Louise Bédard mettait en oeuvre les soirées Most Modern, lors desquelles ils portaient tous le double chapeau d’interprète et de chorégraphe. « On se donnait une grande liberté ; personne ne mettait le nez dans les affaires des autres. »