L’«estradinaire appartemanteau» de Sol

Lui qui rêvait d’un « appartementeau superbe, avec cinq pièces et porches intérieurs », le voilà bien gâté. Alchimiste du verbe et bidouilleur de mots, Sol verra enfin son fantasme prendre forme avec l’ouverture prochaine de la bibliothèque Marc-Favreau dans l’arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie.
Un édifice non seulement nommé en mémoire du prolifique et « vermouilleux » créateur de Sol, mais construit sur mesure pour commémorer son proverbial personnage. Ironie suprême, Sol le « vagabond à rien », le faire-valoir du savant Gobelet, le « pôvre petit moâ » qui n’était pas allé à l’« adversité » et avait du fil à retordre avec les « traîtresses d’école », aura sa bibliothèque à lui, rien qu’à lui.
Plus qu’un simple coup de chapeau commémoratif, la bibliothèque traduit en murs et en dur tout l’esprit de l’homme au « déficient manteau ». Le duo de cloches s’y retrouvera aussi enfin réuni pour la postérité : Sol immortalisé dans la bibliothèque Marc-Favreau, et Gobelet, dans le parc Luc-Durand tout à côté, interchangeant leurs rôles de sot et d’érudit pour un dernier tour de piste.
On ne compte plus les bâtiments publics qui honorent la mémoire d’artistes au Québec : écrivains, comédiens, musiciens, alouette. Mais là, c’est toute l’âme de l’itinérant verbomoteur qu’incarne le bâtiment imaginé par la firme Hanganu Architectes.
« Nous nous sommes fortement inspirés du costume du personnage, mais aussi de l’esprit libre et ludique de Marc Favreau », explique Gilles Prud’homme, architecte coordonnateur du projet de la bibliothèque Marc-Favreau. Les architectes ont sondé les textes, mais aussi consulté la famille pour rester fidèles tant au personnage qu’à son auteur.
110 000 livres et documents informatiques
Planté à l’angle des rues Rosemont et Saint-Vallier, le bâtiment est drapé d’un mur-rideau percé de trous, laissant passer la lumière du côté ouest. Une vague évocation du vieux paletot rapiécé devenu la seconde peau de Sol.
En façade, un parvis rehaussé et une surface scintillante invitent les badauds à passer la porte et le vestibule qui mènent naturellement le visiteur vers l’arrière du bâtiment. Dans cette partie ouverte sur le parc surnommée le cristal, les murs de verre sont traversés du plafond au plancher de losanges qui forment un jacquard transparent, rappelant subtilement les carreaux « du déficient manteau ». Bref, une véritable verrière d’où les lecteurs auront bientôt une vue libre sur le parc de Gobelet et sa verdure, dans un salon douillet habillé de canapés et d’un foyer.
Ludique, prête à habiter, la bibliothèque Marc-Favreau n’aura rien des antres figés dans le silence qu’étaient les bibliothèques d’autrefois. On y retrouvera sous un « coffre de bois » une série de rayonnages traditionnels, mais aussi des espaces distincts, reliés entre eux par des passerelles et des escaliers, destinés aux diverses clientèles. Salle de conte pour les enfants, espaces de création pour adolescents, salon de lecture et salles dotées de postes informatiques : 110 000 livres et documents informatiques se partageront ce lieu de culture destiné à la découverte.
Greffée à la verrière, une partie du parc Luc-Durand tend la main à l’antre de Sol, se prolongeant dans un jardin intérieur, flanqué d’un mur végétalisé. « L’écologie était quelque chose de très important pour Marc Favreau. Il fallait donc en tenir compte dans la facture de la bibliothèque », d’ajouter M. Prud’homme.
Au coeur de l’édifice, un lumineux escalier et un ascenseur de verre s’ouvrent sur un café et un deuxième étage menant à « la lanterne », cube de verre surplombant la rue où se lovent, derrière le mur de façade illuminé, les salles multimédias et polyvalentes. Un drolatique lustre fait de cul-de-poule, réalisé par l’artiste montréalais Emmanuel Cogné, de Lampi Lampa, scintillera au coeur de cet espace de transition.
« Pour nous, il était important que le caractère simple, la transparence, l’humour et l’amour de la nature qui habitaient Marc Favreau se reflètent dans ces lieux », soutient le chargé de projet de la firme Hanganu Architectes. Avec ses murs de bois, ses planchers de bambou, ses matériaux recyclés, son toit blanc et l’intégration d’un bâtiment patrimonial, l’édifice cherchera à obtenir la certification LEED argent.
Portes ouvertes
Constellation en sol, une installation suspendue de l’artiste Adad Hannah faite de 22 impressions sur panneaux de verre coloré, créera dans le jardin intérieur un patchwork de lumière en hommage au farfelu sans-abri. Le public pourra visiter cet abri lumineux encore vierge lors de portes ouvertes le 15 septembre prochain, avant que les livres n’y prennent définitivement leur place en décembre.
L’obsédé textuel et architecte des mots qu’était Marc Favreau aurait sûrement adoré que les livres soient offerts d’une façon aussi ludique, sans prétention ni a priori. Dans une entrevue accordée au Devoir en 1995, Marc Favreau avait confié que son personnage de Sol était « une prison, soit, mais une prison dorée ! ».
« J’ai toujours habité mon manteau, je suis bien chez lui quand même. Tellement bien que je le loue. Chaque mois, je lui fais la louange. Achevé à la seconde main, drôlement bien aéré, avec des petits trous partout pour faire sortir les mythes. Ouille, ouille, je pourrais le classer monument hystérique », disait-il dans le monologue Le mur du son. Il n’aurait jamais cru si bien dire de ce nouveau toit, où la culture sera bien au chaud, comme sous son manteau.
Pour effectuer la visite virtuelle de la bibliothèque Marc-Favreau