Conseil des arts du Canada - La redéfinition des programmes inquiète le milieu artistique

La refonte des programmes du Conseil des arts du Canada (CAC) sème l’inquiétude dans le milieu des arts scéniques. L’« engagement du public envers les arts », un des principes qui sous-tend la démarche du CAC, suscite des questions en laissant présager un flou entre pratique amateur et professionnelle et un glissement vers le clientélisme.
« Le mandat du Conseil des arts du Canada est de répondre à la réalité des artistes professionnels. Alors, on se questionne à savoir jusqu’où il va aller dans l’engagement des publics », explique Hélène Nadeau, directrice du Conseil québécois du théâtre, premier secteur, avec les arts médiatiques, à éprouver la refonte (la nouvelle mouture de son programme est déjà en ligne).
Principal objet de la refonte en cours : les programmes de subventions pluriannuelles des compagnies et organismes artistiques, dont le CAC dit vouloir améliorer « la flexibilité et la pertinence », précise au Devoir Roger Gaudet, chef du service de théâtre. Des consultations ont été menées en arts médiatiques et en théâtre - dont Mme Nadeau salue d’ailleurs le bon déroulement. D’autres suivront pour les autres secteurs.
En parallèle, le CAC distribue un document de travail qui montre comment l’approche du CAC, jusqu’à récemment, « est passée du développement des publics à l’engagement du public ». L’expression est mise en résonnance avec d’autres, déjà utilisées par le CAC, comme « création de nouveaux liens » et « mise en évidence de la contribution de l’art et des artistes à la vie quotidienne ».
Le Conseil des arts « trouvera des moyens directs et indirects d’aider les artistes et les organismes artistiques à accroître et à approfondir leurs liens avec le public », peut-on lire dans le plan stratégique Resserer les liens 2011-2016.
Dans sa dernière entrée au blogue du CAC, le directeur Robert Sirman fait part de la nécessité de s’adapter aux changements qui s’opèrent dans la pratique artistique professionnelle, qu’ils soient liés à des causes économiques, technologiques, générationnelles ou démographiques. Il cite aussi l’engagement du public envers les arts comme une des priorités du CAC.
Un blogue, mené par Simon Brault, vice-président du CAC et auteur du Facteur C, permet aux artistes de s’exprimer sur les enjeux. Mais les bénéficiaires du CAC sont-ils vraiment libres d’y livrer le fond de leur pensée ? Une préoccupation signalée par certains au Devoir.
C’est le flou persistant autour de « l’engagement du public envers les arts » qui sème surtout l’émoi. « On n’est pas contre l’idée, dit une administratrice du milieu de la danse, qui préfère garder l’anonymat. Chacun le fait déjà un peu à sa manière, en donnant des ateliers dans les écoles ou des matinées scolaires. Mais on ne sait pas exactement ce que ça veut dire. On comprend que ce sera une partie non négociable et intrinsèque dans l’évaluation de la compagnie [demandeur de subvention] d’inclure le public, et pas seulement dans la diffusion, mais dans le processus et la recherche du travail de création qu’on fait. Ce n’est pas le travail de toutes les compagnies qui s’y prête. Je vois mal Édouard Lock aller dans une maison de personnes âgées pour partager son processus créatif. »
Même genre de son de cloche en musique, milieu qui, à l’instar de la danse, des lettres, de l’édition et des arts visuels, se trouve tout au début, voire en amont du processus de consultation mené par le CAC.
« Le principe est louable, mais si ça se traduit en exigences concrètes pour les compagnies, ça nous inquiète, parce que c’est quelque chose de difficile à mesurer, indique Mathieu Lussier, président du Conseil québécois de la musique. On ne peut pas inviter un musicien amateur à participer à un concert professionnel. »
Nuances
Roger Gaudet nuance : « On n’est pas en train de réécrire le programme pour lui donner la couleur “engagement du public”. C’est plutôt le discours qu’on est en train de mener dans la sphère publique [autour de cette notion] parce qu’on croit que c’est un questionnement qui aura un impact, à long terme, sur le financement public des arts et la santé des organismes artistiques au pays. »
Il rappelle que le changement de paradigme s’est déjà en partie opéré. Il s’agit surtout, pour le CAC, de s’aligner aux approches innovantes déjà à l’oeuvre au sein de la communauté artistique. Des approches parfois plus citoyennes qui ne supplantent toutefois pas les autres démarches artistiques, « plus du côté de l’expérimentation esthétique ou dans des questions identitaires ».
Très concrètement, en théâtre, l’énoncé du nouveau programme fait surtout « plus de place pour qu’un artiste puisse articuler son rôle auprès de sa communauté, artistique et plus large », sous le critère de diffusion, qui compte pour 10 ou 15 % de l’évaluation de la demande de subvention, souligne M. Gaudet. « Le critère artistique est toujours celui qui domine » à 50, 60 ou 70 %, selon les volets du programme.
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Ce qui a inspiré la vision du CAC
Extraits du texte Entrée dans la nouveauté. Les défis liés aux politiques et au financement pour une nouvelle ère du monde des arts, signé Richard Evans, président de EmcArts inc, remis aux associations d’artistes en amont des consultations.
« Dans le nouveau paradigme de la réussite, […] la réussite ne se mesurera plus à la capacité de croissance, mais à la “capacité de s’adapter”. »
« Le chercheur Charles Leadbeater cite le mouvement “pro-am ” comme précurseur de cette révolution (c’est-à-dire les artistes amateurs, non professionnels, dont le travail de création satisfait aux normes professionnelles et qui agissent comme chefs de file dans maints domaines). »
« Dans cette nouvelle ère, les organismes les plus florissants sauront reconnaître et exploiter la créativité et le potentiel artistique de la communauté dans son ensemble, et le modèle organisationnel prédominant misera sur des qualités comme la porosité, l’ouverture et l’adaptabilité. »