Patrimoine immatériel - La mémoire des lieux

Ce texte fait partie du cahier spécial Patrimoine culturel
Au-delà de l’histoire et des grandes dates qui lui sont associées, il y a l’expérience humaine qui lui donne un sens à travers les cultures et qui définit le patrimoine immatériel, aujourd’hui reconnu par la loi.
À l’ère de l’instantanéité et de la fugacité des biens de consommation, l’idée de s’arrêter pour réfléchir à l’importance des traditions, des savoir-faire et des modes de vie des sociétés présentes et passées devient plus importante que jamais, estime Yvon Noël, directeur du Musée québécois de la culture populaire, à Trois-Rivières.
« Le patrimoine immatériel, ce n’est pas quelque chose qui est tangible. C’est toute la signification, le lien qu’on peut faire à travers un élément physique - un lieu, un objet très ancien - et la présence de l’homme pour que cela ait un sens aujourd’hui. »
Pour le directeur du Musée québécois de la culture populaire, le patrimoine immatériel, c’est « la mémoire d’un lieu ». C’est l’histoire transmise dans une perspective humaine. C’est, pour ramener le concept à sa plus simple expression, ce qui nourrit le quotidien des hommes.
« L’histoire, on le répète souvent, c’est l’histoire des vainqueurs. Il y a toutes sortes de façons de parler de l’histoire. Il y a des dates qu’on retient et qui seront écrites dans des traités d’histoire. Mais il y a des personnes qui vivaient à cette époque et c’est cette dimension humaine qui fait la différence. Il y a une grande différence entre l’Histoire avec un grand H, que l’on retrouve dans les livres, et le vécu des personnes. »
Pour lui, les rapports que l’humain entretient avec ses semblables, au quotidien, sont tout aussi puissants que les liens économiques, juridiques ou religieux. C’est la base même de la construction d’une société. Et pourtant, les historiens et les sociétés en général ont eu tendance, jusqu’à tout récemment, à minimiser son importance.
« Comment établissons-nous des liens, entre humains, universellement ? C’est le défi que nous avons à relever. Particulièrement aujourd’hui, en ce début du XXIe siècle, avec toutes les technologies qui se développent. Nous sommes dans la vitesse absolue, très préoccupés par les mises à jour constantes, au point où, à partir du moment où nous avons nommé quelque chose, c’est déjà terminé et nous attendons autre chose. Nous sommes pris dans ce tourbillon et nous perdons contact avec la dimension humaine. »
Humanité
Yvon Noël se souvient de jeunes complètement fascinés par un documentaire sur la Fête-Dieu présenté, il y a quelques années, dans le cadre de la Nuit de la création au Musée national des beaux-arts du Québec. Il a été marqué par ces étudiants, qui ne disposaient d’aucune référence personnelle pour comprendre cette célébration surannée, mais qui étaient néanmoins subjugués par cette religieuse racontant la Fête-Dieu telle qu’elle l’avait vécue, avec ses symboles et ses valeurs, transmettant une mémoire vivante pour que la tradition perdue conserve un sens pour les générations futures.
« Pendant des centaines d’années, nous nous sommes préoccupés d’objets. Les musées sont remplis d’objets de toutes sortes, oeuvres d’art, vieux cailloux et pointes de flèche. Mais, maintenant, fort probablement en raison de l’avancement des nouvelles technologies et de notre rapport au monde, nous nous rendons compte qu’il y a des éléments qui ne sont pas tangibles, qui donnent du sens à un patrimoine, et cela, ce sont les valeurs d’une société. Car, même si l’humanité se développe très rapidement sur le plan technologique, l’être humain reste, fondamentalement, un être sensible avec ses angoisses, ses peurs et son rapport à la nature et à l’absolu. »
Pour Yvon Noël, le patrimoine immatériel est « fondamental pour l’évolution d’une société ». L’homme ne peut pas, estime-t-il, se projeter dans le futur s’il a coupé les liens avec ses racines. « Les liens des êtres entre eux sont le ciment pour construire une société. Sans eux, c’est la loi du marché, c’est l’économie ; on perd le sens, nos ancrages et nos points de repère. »
Mémoire vivante
La notion de patrimoine immatériel existait bien avant la nouvelle loi, qui reconnaît aujourd’hui l’importance de le protéger, concède Yvon Noël. Il fait notamment référence aux travaux de l’ethnologue Marius Barbeau, qui a enregistré des milliers de chants et de contes amérindiens avant que ceux-ci ne sombrent dans l’oubli, de même qu’au Musée de la mémoire vivante de Saint-Jean-Port-Joli, qui recueille, depuis un quart de siècle, des témoignages de gens ordinaires racontant leur quotidien.
Mais la reconnaissance législative était primordiale, selon Yvon Noël, pour aider les ethnologues dans leur mission de préservation du patrimoine immatériel. « Désormais, la loi va nous protéger. Nous ne serons plus obligés de mener des guerres et de faire signer des pétitions pour être capables de préserver ce qui doit l’être. Il y aura une attention particulière portée à différents projets pour éviter qu’on ne détruise tout, comme ce fut le cas dans les années 1970, sur la base du développement économique. »
L’autre point positif, selon lui, de voir le patrimoine immatériel enchâssé dans une loi, c’est que des structures et des procédures seront désormais mises en place pour évaluer la valeur de certains savoirs qui sont sur le point de disparaître.
« Ce que cela va avoir comme répercussions dans le temps, je ne le sais pas exactement. Nous sommes à l’aube d’un nouveau millénaire et je suis persuadé que nous avions besoin de cette loi pour préserver les éléments importants de nos sociétés. Maintenant, la prochaine étape est de rendre cela vivant, d’adapter nos règles et d’intégrer tout cela pour que ça devienne une valeur importante pour notre société. »
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