Scène internationale - «Le Québec, une fois de plus, est en avance»

Etienne Plamondon Emond Collaboration spéciale
Le parc national Tongariro est le premier parc national créé en Nouvelle-Zélande et est classé sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Photo: Christophe Ena Associated Press Le parc national Tongariro est le premier parc national créé en Nouvelle-Zélande et est classé sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Ce texte fait partie du cahier spécial Patrimoine culturel

La Loi sur le patrimoine culturel, entrée en vigueur le 19 octobre dernier, place le Québec à l’avant-garde. Mais cette nouvelle approche législative s’inscrit dans un mouvement de fond déjà bien amorcé sur la scène internationale.

Au parc Tongariro, en Nouvelle-Zélande, s’érigent des montagnes auxquelles les Maoris accordent une signification spirituelle importante. En 1993, ce lieu est devenu le premier à être désigné par l’UNESCO comme patrimoine mondial à titre de paysage culturel, une notion inscrite et protégée un an plus tôt dans la Convention du patrimoine mondial. Dix ans plus tard, en 2003, l’UNESCO a mis de l’avant la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel. Cette dernière n’a pas encore été ratifiée par le Canada. Qu’à cela ne tienne, les notions de paysage culturel et de patrimoine immatériel viennent toutes les deux d’être consacrées au Québec par leur intégration à la Loi sur le patrimoine culturel, aux côtés du patrimoine mobilier, immobilier et archéologique.


« Je pense qu’il n’y a pas beaucoup d’endroits au pays où on a mis [tout ça] ensemble. C’est vraiment très contemporain et je pense que le Québec, une fois de plus, est en avance », se réjouit Christina Cameron, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine bâti de l’Université de Montréal.

 

Précédents heureux


Sa voix délicate perce le brouhaha bruyant d’un café du Vieux-Montréal, une heure avant la conférence de presse tenue par le ministre Maka Kotto, au Centre d’histoire de Montréal, pour souligner l’entrée en vigueur de la loi. La vice-présidente de la Commission canadienne de l’UNESCO, qui a été la chef de délégation du Canada pour le patrimoine mondial pendant 18 ans, ne se souvient pas d’une multitude d’endroits au pays où le paysage culturel est autant considéré et remis d’une telle façon entre les mains de la collectivité. « C’est une belle expérience. » Le seul exemple qui lui vient à l’esprit nous transporte sur le continent africain, plus particulièrement au Nigeria, où il y a une importante reconnaissance de la forêt sacrée d’Osun-Oshogbo et du paysage culturel de Sukur. « C’est intéressant et ça reflète mieux la diversité du monde. On est loin des bâtiments et des monuments historiques », remarque-t-elle.


Par contre, du côté du patrimoine immatériel, certaines initiatives ont été amorcées plus près de nous. Mme Cameron souligne que la province de Terre-Neuve -et -Labrador a mis au point des politiques axées spécifiquement autour du patrimoine immatériel et de ses activités traditionnelles.


« L’ouverture au patrimoine immatériel, c’est un mouvement international maintenant, surtout depuis que l’UNESCO a adopté la convention en 2003, indique au Devoir Laurier Turgeon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique de l’Université Laval, tout juste avant que le ministre ne prenne la parole dans un Centre d’histoire de Montréal bondé. C’est une convention qui connaît un grand succès. Déjà, il y a plus de 140 pays qui l’ont signée. Elle suscite beaucoup d’enthousiasme partout dans le monde. »


Reste qu’il y a eu moult débats pour que la Loi sur le patrimoine culturel du Québec, à l’instar de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel de l’UNESCO, inclue les notions d’objet et d’espace afin de s’aligner sur le consensus international. Un ajout qui a finalement été apporté au projet de loi à la suite d’une lettre ouverte signée entre autres par Mme Cameron et M. Turgeon.


Pour le développement durable


Ce que Laurier Turgeon pointe surtout comme novateur dans la loi adoptée, c’est l’introduction du développement durable « comme objectif à atteindre » dans une loi sur le patrimoine. Le terme apparaît d’ailleurs dès l’article 1 de la loi 82. « C’est un des premiers gouvernements qui voient vraiment le patrimoine comme un moyen actif de faire du développement durable. »


Gérald Grandmont, ancien sous-ministre adjoint responsables des politiques, des sociétés d’État et du patrimoine au ministère de la Culture et des Communications, précise que l’Australie a déjà fait preuve d’avant-gardisme de ce côté. « L’État du Queensland est allé jusqu’à confier la loi du patrimoine culturel au ministère de l’Environnement, souligne-t-il. Il faut dire que, en Australie, les espaces naturels liés aux communautés autochtones sont tellement plus importants qu’il ne pouvait pas faire autrement. C’est un peu dans leurs gènes de travailler comme ça. Alors que nous, du point de vue du patrimoine culturel, nous continuons à penser que ç’a une portée identitaire et que ça doit rester sous la responsabilité [du ministère de la Culture], mais on a conçu un projet de loi qui fait une tête de pont directe avec le ministère de l’Environnement et du Développement durable. »

 

Arrimages futurs


Si elle accueille favorablement la nouvelle loi québécoise, Christina Cameron prévient « qu’il reste des arrimages à faire avec trois autres lois » : soit la Loi sur le développement durable, la Loi concernant la protection de la nature et des ressources naturelles ainsi que la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. « Je sais que c’est impossible de tout mettre dans une loi, mais il reste des arrimages à faire, surtout du point de vue de la mise en oeuvre. »


Tout va dépendre de la façon dont on élaborera les plans de conservation, croit-elle. Elle ne s’inquiète pas pour une ville comme Montréal, où de nombreux instruments et groupes sont déjà au service du patrimoine. La situation en région devra être suivie de plus près pour s’assurer que la population soit suffisamment sensibilisée et outillée pour réaliser sa part.


Une tendance mondiale


Laurier Turgeon considère que l’une des innovations majeures de cette loi réside dans la décentralisation mise de l’avant, en donnant, par exemple, le pouvoir aux municipalités et aux communautés autochtones de réaliser leur propre classement patrimonial. L’Ontario confie des responsabilités aux collectivités locales depuis longtemps, nuance M. Grandmont. Reste que cette question de la prise en charge par les collectivités est en vogue depuis peu partout dans le monde.


À peine de retour d’un séjour au New Jersey, Christina Cameron assure que, là-bas aussi, ce sujet était au centre des discussions. « Je suis certaine qu’on est en pleine transition. On est en train de changer de paradigme. Et je trouve que cette loi [sur le patrimoine culturel au Québec] ouvre la porte à ça », observe-t-elle. À son avis, elle est terminée, l’époque où le patrimoine important n’était déterminé que par les archéologues. La nouvelle ère laisse la place à « toute une négociation sociale ».


« Nous, les experts, on va répondre à l’appel des collectivités, prédit Mme Cameron. Moi, je trouve que c’est tout à fait correct. Il y en a qui vont dire qu’on va perdre le contrôle, que ce sera le free for all, que les gens vont faire n’importe quoi. Je ne crois pas. Ça va ouvrir un dialogue, parce que, dans le fond, on n’ira pas protéger le patrimoine, conserver ce qu’on veut, si on n’a pas l’engagement de la population. »


D’ailleurs, le parc Tongariro en Nouvelle-Zélande était déjà reconnu comme un élément du patrimoine mondial pour ses valeurs naturelles, mais il est devenu instantanément un paysage culturel, une fois le concept institutionnalisé, « en raison de ses valeurs pour les peuples autochtones. C’est là qu’on peut voir que ce concept se base sur d’autres valeurs que celles, traditionnelles, d’esthétisme, d’histoire, de nature et de faune, soit des valeurs plus utiles en lien avec les relations, les personnes, l’humanité et son territoire. »


 

Collaborateur

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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