L’Islam prend ses aises au Louvre


	Les nouvelles salles aménagées sous une canopée de verre dans la cour Visconti permettront d’exposer une bonne partie des 19 000 œuvres d’art de l’Islam que possède le Louvre.
Photo: Musée du Louvre
Les nouvelles salles aménagées sous une canopée de verre dans la cour Visconti permettront d’exposer une bonne partie des 19 000 œuvres d’art de l’Islam que possède le Louvre.

Pouvait-on imaginer moment plus paradoxal pour inaugurer les nouvelles galeries du Louvre consacrées à l’Islam ? Alors que les manifestations ne dérougissent pas dans les capitales du Moyen-Orient contre l’Occident impie coupable d’avoir ridiculisé le prophète, alors que l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo est dénoncé pour avoir dessiné les fesses de Mahomet, le Louvre, lui, inaugurait hier en toute tranquillité ce qui est probablement (avec celle du Metropolitain Museum) la plus grande collection d’objets d’art de l’Islam du monde.

Dès samedi, les huit millions de visiteurs qui fréquentent chaque année le musée auront accès à plus de 3000 oeuvres allant d’un vantail de porte en bois du Dar al-Khalifat de la ville de Samara, le long du Tigre, à un poignard moghol en forme de tête de cheval du xviie siècle, en passant par l’extraordinaire lion de Mozon, une ancienne bouche de fontaine en bronze du xiie siècle trouvée à Palencia en Espagne. Les nouvelles salles aménagées sous une canopée de verre dans la cour Visconti permettront d’exposer une bonne partie des 19 000 oeuvres d’art de l’Islam que possède le Louvre, illustrant ainsi la fascination millénaire que l’Orient a exercée sur la France.


Bien avant Montesquieu et ses Lettres persanes, cette passion date en France du Moyen-Âge et des croisades. Dès 1793, le Louvre héritera de la collection royale déjà bien fournie en objets venus d’Orient. Puis vinrent les milliers de pièces ramenées par Napoléon. Paris ayant longtemps été la capitale du marché de l’art, de nombreuses collections privées se sont aussi retrouvées au Louvre.

 

Un message politique


Les responsables du Louvre ne s’en cachent pas. Ces splendides salles construites sur deux niveaux, où l’on expose aussi des tapis et des murs de céramique, portent un message politique. « Bien sûr que c’est un signe politique, dit Sophie Makariou, chef du département des arts de l’Islam du Louvre. Nous sommes ici dans le musée par excellence de la Nation. Il n’était pas normal que cette grande civilisation [l’Islam] soit limitée à de petites salles. La France s’intéresse depuis toujours à l’Islam. Vous savez peut-être qu’on enseigne les langues orientales en France depuis François 1er. »


La conservatrice souhaite aussi que ces trésors servent à dissiper quelques mythes, notamment celui selon lequel les arts de l’Islam seraient non figuratifs. Un mythe renforcé en 2001 par la destruction des bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan par les talibans. « Les pièces exposées au Louvre montrent bien qu’il y a un art figuratif islamique », dit-elle. Si la représentation divine passe essentiellement par l’écriture (puisque le dieu musulman ne s’est pas fait chair, mais verbe), les arts regorgent de représentations humaines et animales. Le baptistère de saint Louis, un chef-d’oeuvre de cuivre, d’or et d’argent réalisé en Égypte ou en Syrie vers 1330, est ainsi orné d’une file de personnages et d’une frise d’animaux. En Jordanie, la salle des thermes du palais de Qusayr ‘Amra était même décorée de fresques de femmes nues aux formes épanouies. « Ces collections sont un message de beauté et d’intelligence, dit Sophie Makariou. Elles nous offrent un point de vue pour aborder le présent. »


Contrairement au Metropolitan Museum qui a éparpillé ses collections dans des salles consacrées aux arts des pays arabes, de la Turquie et de l’Iran, le Louvre a tenu à rassembler les siennes sous l’appellation des « arts de l’Islam ». Makariou précise bien que cet Islam ne désigne pas une religion, mais bien une civilisation. C’est pourquoi, dit-elle, le mot prend une majuscule. Ainsi, les nouvelles salles présentent-elles des pièces d’iconographie chrétienne venues de Syrie ou d’Espagne, comme ce paon aquamanile, oeuvre d’un artisan chrétien et dont les inscriptions sont en arabe et en latin.


Une « aile de libellule »


Depuis la construction de la célèbre pyramide, il y a 20 ans, jamais le Louvre n’avait subi des travaux d’une telle ampleur. Pour abriter ces collections dans la cour Visconti, un des derniers espaces encore disponibles, il n’était pas possible de construire une verrière traditionnelle, la cour n’offrant pas de ligne de corniches continue. Afin de dégager les façades, on a donc préféré fabriquer un toit ondulé qui couvre le rez-de-chaussée comme le ferait un voile translucide.


Les architectes Mario Bellini et Rudy Ricciotti préfèrent parler d’une « aile de libellule » ou d’une « peau de verre ». Ils disent ne pas avoir voulu « imposer aux trésors de l’Orient […] une cour fermée, témoin des époques stylistiques françaises ». Celle-ci reste cependant visible de l’intérieur. La nouvelle toiture est constituée d’une couche de verre superposée à deux couches de résille métallique, ce qui permet de laisser passer la lumière et offre des points de vision à travers le plafond. Supporté par des piliers inclinés, le tout crée une étonnante impression de légèreté tout en concentrant le regard sur les objets.


Lancé par une décision du président Jacques Chirac, en 2002, le chantier a été principalement réalisé sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Cette semaine, c’est le nouveau président François Hollande qui inaugurait les nouvelles salles dans un contexte plus tendu que jamais entre l’Occident et les mouvements islamistes.


Lorsqu’on lui demande si ces nouvelles salles s’adressent tout particulièrement aux musulmans qui vivent en France, la conservatrice Sophie Makariou n’hésite pas un instant. « Nous sommes en France, dit-elle. Ici, on n’aime pas beaucoup l’esprit communautariste. Notre ambition, c’est donc que tout le monde visite ces salles. Elles sont destinées au public qui vient de partout, sans distinctions. C’est un héritage qui nous appartient à tous. Si l’on réussit à faire comprendre ça, on aura réussi quelque chose. »

À voir en vidéo