Le musée passe à table

Des chaudrons et des accessoires exposés au Musée Stewart.
Photo: Michel Pinault Des chaudrons et des accessoires exposés au Musée Stewart.

La cuisine envahit depuis un bon moment les grilles télé. La voilà maintenant au musée. La première exposition temporaire du Musée Stewart depuis sa réouverture offre un survol historique des métamorphoses dont cette pièce résidentielle a été le théâtre, tout en s’attardant aux designers qui ont révolutionné nos habitudes dans la préparation des repas.

Des bouilloires, des grille-pain et des réfrigérateurs dans un musée ? Oui, et ce n’est pas la première fois. En 1934, le réputé Museum of Modern Art (MoMA) de New York présentait l’exposition Machine Art dans laquelle les tendances de l’époque pour les objets et les aménagements d’une cuisine étaient à l’honneur.


Fortement inspiré par la noblesse qu’a donnée le MoMA à la forme de ces accessoires, Affamé de design regroupe deux collections d’ustensiles chères à Liliane Stewart, présidente du musée : l’une du XVIIIe siècle, l’autre du XXe.


À l’entrée, une phrase évocatrice du designer industriel Walter Dorwin Teague, connu entre autres pour son travail chez Kodak et Boeing, sert de fil conducteur. « Le design moderne est entré dans les maisons américaines, non pas par la porte d’en avant, mais par la cuisine. » L’exposition lui donne raison.

 

Pendre la crémaillère


Elle démarre à l’époque où l’on pendait littéralement la crémaillère dans le foyer pour faire bouillir et cuire les plats. Fruits d’une tradition artisanale s’affinant sur plusieurs siècles, bien des ustensiles de fer et de cuivre utilisés au-dessus du feu n’ont pas à rougir. « L’ustensile, à cette époque, a quasiment atteint sa forme définitive », remarque Guy Vadeboncoeur, directeur exécutif et conservateur en chef du Musée Stewart.


Une écumoire, une passoire, un hachoir et une bouilloire conservent, à quelques détails près, les mêmes courbes et le même gabarit malgré certains changements dans les matériaux. Devant une vitrine où les accessoires de différentes époques se répondent, M. Vadeboncoeur constate que « les forgerons, serruriers ou autres artisans des métaux étaient de signers sans le savoir ».


Le raffinement esthétique


La pièce domestique, par contre, se métamorphose radicalement après la Grande Guerre. L’eau courante et l’électricité entrent dans les chaumières. Sous l’impulsion du taylorisme, la « cuisine de Franc fort » tend vers une configuration offrant la plus grande efficacité possible. Four, réfrigérateur, évier et armoires sont agencés pour être à portée de la main, comme le démontre un jeu de blocs des Années folles permettant de planifier avant d’entamer les rénovations.


« Les ingénieurs se sont intéressés à la cuisine, non plus comme un lieu de vie conviviale mais comme un lieu de travail, un lieu où notre tâche pouvait être divisée en étapes, en sections et en îlots de travail », explique M. Vadeboncoeur. D’une pièce centrale autour de laquelle s’articulait la vie familiale, la cuisine se détache tel un « laboratoire » à part, comme le souligne sa nouvelle blancheur aseptisée.


À cette logique mécanique s’ajoute ensuite le raffinement esthétique. Dans les années 1930, le design Streamline s’impose. Les mixettes et grille-pain en acier chromé ou en aluminium étincelant arrondissent leurs angles, allongent la poignée ou se couvrent de bandes horizontales. Ils évoquent ainsi la vitesse, à l’image des trains aérodynamiques et des carlingues ondulées des avions.


Bien qu’à ce moment certains prétendent que les formes modernes promues par ce courant « présentent moins de risques de blessures », « un objet fixe sur un comptoir de cuisine n’a pas besoin d’être profilé comme ça », concède M. Vadeboncoeur.


Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la consommation de masse vient tout bousculer. Pour les objets, on recherche dorénavant le « bon design », défini par le MoMA « comme une fusion complète de la forme et de la fonction, qui révèle une beauté pratique, simple et sensible ». De nouveaux matériaux se répandent. En tête de liste : le plastique, sur lequel mise Earl Silas Tupper pour créer ses populaires Tupperware qui transformeront le quotidien de bien des ménages. Comme les plats, le décor et les appareils adoptent des couleurs chatoyantes, redonnant à la pièce un caractère chaleureux et hospitalier.


Le dernier mot de l’exposition est accordé aux designers d’aujourd’hui, qui réinventent à leur tour les contours de la cuisine et son ergonomie. On y croise entre autres le flamboyant presse-citron de Philippe Starck.

 

Un aperçu du futur


Le Musée Stewart donne aussi un aperçu du futur. Écran tactile, verre dit « intelligent » et contenants comestibles pourraient bientôt s’intégrer à notre rituel du souper. Dignes d’un film de science-fiction qui a mal vieilli, des images de la « cuisine de demain » telle qu’imaginée en 1944 aiguisent l’esprit critique devant les récents pronostics.


À la mi-juillet s’ajoutera une exposition interactive intitulée Éclate tes papilles. On y retracera l’histoire d’aliments toujours présents dans nos garde-manger, remontant jus qu’à l’époque où les épiciers ne vendaient que des épices et où le chocolat se buvait plutôt que de se croquer.

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