Les concours et l'étude de l'architecture - L'architecture potentielle annonce les bâtiments de demain

Ce texte fait partie du cahier spécial Architecture mars 2012
Au-delà des immeubles et du bâti, l'architecture contemporaine s'exprime également à travers tous les plans réfléchis, imaginés et modélisés qui ne seront jamais réalisés. C'est ce que le professeur George Adamczyk appelle l'architecture potentielle, un concept en émergence à travers le monde et dont le Québec peut se vanter d'être l'un des pionniers.
«La question de l'architecture potentielle nous est apparue très évidente dans le cadre des concours d'architecture, où on réunit une cinquantaine d'architectes qui planchent avec leur équipe respective sur un même sujet», explique le professeur à l'École d'architecture de l'Université de Montréal, également codirecteur scientifique du Laboratoire d'étude de l'architecture potentielle (LEAP).«Évidemment, en matière de réception sociale et publique, on accorde beaucoup d'attention au projet lauréat d'un concours, et puis on a tendance à oublier les autres. Mais nous nous sommes aperçus que les autres avaient avancé des hypothèses esthétiques ou techniques qui valaient la peine d'être recueillies dans un catalogue numérique qui serait mis à la disposition du milieu architectural, de façon à constituer une connaissance actuelle concrète de l'état des lieux de la pensée du projet d'architecture contemporain au Québec et au Canada.»
C'est à partir de cette prémisse qu'est né, en 2001, le Laboratoire d'étude de l'architecture potentielle, qui réunit une dizaine de professeurs issus de quatre universités québécoises et quelques dizaines d'assistants de recherche. Une subvention de 100 000 $ par année permet d'assurer le fonctionnement de base du laboratoire.
Pour l'histoire
Pour George Adamczyk, qui a accompagné le fondateur du laboratoire, Jean-Pierre Chupin, depuis les tout débuts, le concours devient la lunette par laquelle on peut apporter des connaissances documentées sur l'architecture contemporaine, documentation qui faisait défaut tant au Québec qu'au Canada.
«Nous ne prétendons pas avoir toutes les réponses sur l'architecture contemporaine, mais, lorsque nous avons devant nous une centaine de projets, nous pouvons les annexer et découvrir des choses fascinantes, comme la façon dont s'est effectuée la transition du crayon au dessin par ordinateur et ce que cela change dans les compositions ou dans la communication. On peut également se poser des questions sur les courants stylistiques ou les nouvelles esthétiques de l'architecture au Québec et au Canada. Nous avons la capacité de nous engager dans des réponses fondées, puisque nous avons du matériel sous les yeux.»
L'étude de l'architecture contemporaine à travers les concours permet également de créer un lien entre l'université et le monde professionnel par l'établissement d'un dialogue et d'un répertoire des projets. «Certains nous ont même dit que cela les avait aidés à mieux comprendre leurs projets à travers le temps, ce qui n'est quand même pas banal.»
L'autre but avoué du professeur, c'est de faire de l'architecture une discipline en bonne et due forme. Car la recherche, en architecture, est encore trop souvent associée aux sciences appliquées ou à l'histoire de l'art, alors que la connaissance de la façon dont les architectes travaillent et pensent les projets est laissée à l'arbitraire artistique.
«Nous avons la capacité d'apporter une contribution à ce qu'on pourrait appeler la construction de la discipline de l'architecture au sein de l'université, pour lui donner un statut. Nous avons l'ambition d'aller à la table des grandes disciplines et de ne pas être seulement des techniciens créatifs.»
L'expertise québécoise
Le Québec était un terrain fertile pour l'étude de l'architecture contemporaine à travers les concours. Avec une quinzaine de concours d'architecture par année, le Québec fait piètre figure lorsqu'on le compare à un pays comme la Suisse, qui en compte des centaines. Mais, à l'échelle canadienne, le Québec est, depuis plusieurs décennies, un chef de file en la matière, constate George Adamczyk. «Au Québec, on n'avait pas beaucoup d'argent, mais on faisait des concours et on avait des architectes avec beaucoup d'imagination, ce qui nous a positionnés dans un rôle de leader au Canada et, par ricochet, un petit peu en Amérique du Nord.»
Même s'il se concentre sur l'architecture contemporaine nationale, le laboratoire est ouvert sur le monde grâce à des collaborations avec des groupes et des chercheurs issus d'un peu partout sur la planète. Le LEAP partage notamment son expertise avec EUROPAN, un organisme qui promeut des concours d'architecture à travers l'Europe.
«Grâce à la qualité de notre expertise pour notre propre banque de données, nous les avons aidés à construire un cadre d'analyse de leurs propres concours», explique le codirecteur scientifique du laboratoire. Il parle aussi d'un étudiant brésilien qui a fait son postdoctorat au LEAP et qui, de retour chez lui, a monté un projet similaire.
«C'est un mouvement en émergence à travers le monde», se réjouit George Adamczyk.
Cette année, pour la première fois de son histoire, le LEAP se tourne résolument vers le monde, avec la tenue d'un colloque international qui se tiendra à l'Université de Montréal les 16 et 17 mars prochains. «Nous avons maintenant l'intention de confronter nos propres résultats à ce qui se fait dans les autres pays et, éventuellement, de construire des passerelles entre nos différents groupes de recherche à travers le monde.»
Le «Grand Livre» du Laboratoire n'est pas encore écrit. Il s'écrit par morceaux, au fil des projets de recherche, mais déjà certains constats émergent, observe George Adamczyk.
«Au Québec, nous avons une architecture qui est relativement traditionnelle, dans le sens de la modernité traditionnelle, qui n'est pas une architecture souple, comme toutes ces architectures en chewing-gum que l'on voit aujourd'hui sur les sites d'architecture. Nous avons une architecture qui ne se projette pas en dehors des réalités immédiates [...]. On est dans une modernité au sens d'une expression assez rationnelle des choses, avec une vérité des matériaux, et qui est très contextuelle en même temps.»
La grande force de l'architecture québécoise, selon George Adamczyk, c'est d'être capable de réaliser des chefs-d'oeuvre avec très peu de moyens. Et le peu de moyens vient du fait qu'il s'agit d'un art encore trop peu valorisé, même dans les ministères de la Culture ou de l'Éducation, qui devraient pourtant être plus sensibles à cet aspect de la construction.
«On n'a pas beaucoup de moyens à donner aux architectes, parce qu'on attend d'eux des dispositifs d'efficacité, des bâtiments qui rendent de bons services, mais qui ne sont pas nécessairement des lieux qui soient chargés d'émotion ou qui soient des stimulants culturels ou artistiques. C'est toujours une question de temps. Ça prend du temps pour dessiner, imaginer, présenter, faire des modèles, des maquettes, discuter, comparer, modéliser, etc. Tout cela prend du temps, et ce temps-là n'est pas toujours valorisé. Alors, il reste du travail à faire de ce côté-là, que ce soit dans les écoles ou ailleurs, mais aussi de façon générale, à travers les porteurs de culture, où qu'ils soient, dans les ministères, dans le public ou dans les institutions.»
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Collaboratrice du Devoir
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