Entre l'arbre et la lumière

À Paris.
Une photographe.
Je m'attendais à une personne sombre et angoissée.
Puis elle est arrivée,
En souriance.
Rien d'affligé.
Toute de blondes et bleus,
Par couettes et par yeux.
Respectivement.
Catherine Pachowski.
Du Bas-du-Fleuve?
«Non.»
Aucun lien avec Rimouski, donc?
Plutôt de provenance lointaine et généalogique de Polonie.
Sans trop de souvenirs
de là-bas.
En France depuis longtemps.
***
Elle fait des photos.
J'en avais croisé déjà.
Des «clics!»,
comme des gestes arrêtés.
Et qui font des images
surprenantes.
Déroutantes.
Avec du beau, oui,
Mais, surtout, avec du difficile à nommer
Dans le sentiment
qu'elles procurent.
Des photos où il y a des arbres, presque toujours.
Même que
quand je lui demande pour son premier appareil photo,
Elle m'ajuste le tir.
«C'est pas la bonne question.
Tu devrais plutôt me demander pour mon premier arbre.»
C'est là que ça a commencé.
Premier dessin d'arbre,
Un branchage bizarre
qu'elle m'a refait sur un coin de la table
Et qui lui avait fait gagner
un concours de dessin.
Elle avait neuf ans.
Et sa première lumière?
À la naissance.
Me précisant
qu'elle n'a pas crié.
Pour ce qui est de la Polonie dans son nom,
Elle n'y est retournée
que bien tard.
Seulement après
le démurement.
Elle m'explique que
tout n'était plus pareil.
«Quand un mur tombe,
la lumière change beaucoup.»
La lumière dans ses photos,
«Elle est toujours vraie»,
me dit Pachowski.
À travailler sans flash,
sans réflecteur ni projecteur,
Elle trouve en cherchant,
surtout,
Ou sur les petits chemins
de la patience.
Toujours vraie, donc, la lumière
Avec, pourtant, toujours l'air
si artificiel.
C'est ce qu'on remarque, d'ailleurs,
Cette impression de faux.
Qui participe sans doute
à créer le malaise
La lumière naturelle,
Saisie dans son moment
démasqué.
Même dans
Le Passage de la tour,
Où l'on voit cette porte
grillagée d'où provient
une grande lueur,
Pas de lumière ajoutée?
«Cette porte, c'était celle de la deuxième enceinte du donjon,
Avec le soleil qui tapait
juste dedans!»
***
Catherine Pachowski baigne dans un nouveau projet
Qui débouchera
sur une exposition en 2011.
On peut déjà y sentir
l'ambiance,
Si on flâne sur son site Internet.
(prénom+nom.com)
Et qu'on clique
sur la galerie des
Promenades de la montagne.
Elle revient d'un mois passé au Château de la Roche-Guyon,
À y vivre et s'en imprégner,
À en tirer des images.
Toutes prises
dans le jardin anglais.
Un anglais qu'on comprend?
«Les jardins sont bilingues!
précise-t-elle.
Puis la lumière,
c'est comme l'espéranto!»
Le grand plaisir qu'elle y a pris,
Parce que sous tous ces arbres,
Les ombres valsaient
toute la journée.
Dans ses photos,
il y a souvent des gens,
Des objets,
Des costumes.
Et ce sont là
toutes des invitations
Et des trouvailles faites
sur les lieux.
Des rencontres
entre le gardien du château
Et un oiseau empaillé
du salon des curiosités,
Une fillette du village avec la robe d'une amie sosie...
«Souvent, dit-elle, l'objet
de départ se perd en chemin.
C'est un prétexte, et on l'oublie, et on s'amuse.»
Parce qu'elle s'amuse,
Pachowski?
Malgré l'étrangeté qui coule dans sa lentille,
Elle m'assure que oui.
Et les gens qui travaillent
avec elle s'amusent aussi.
«Je prends des photos
pour témoigner
de ce qui a l'air faux,
mais qui est vrai.»
Et ça nous brasse
l'inquiétante étrangeté,
Celle-là, la même sans doute, dont jasait Freud
à un moment.
***
Le geste figé, oui,
Et aussi quelques vidéos.
Comme celle de La Mire
Où l'on observe
un coussin carreauté.
À se dire qu'une photo
aurait pu faire l'affaire.
Pour finalement y voir
de plus près.
Et découvrir qu'il respire,
ce coussin.
Qu'il pourrait même se lever debout, s'il fallait.
Il y a la Fillette aux pigeons,
aussi,
Où l'on voit
Dans un montage en désordre de séquences courtes
Des pigeons qui viennent
se prendre dans les cheveux d'une enfant,
Comme dans un cauchemar,
Et la main insistante de la mère
Qui n'en finit plus de replacer les mèches
de sa petite barbie.
Personne qui ne se sauve,
Et la boucle qui continue.
Ce sentiment de malaise,
toujours, qui nous revient.
Pauvre petite fille blonde.
Sans doute
qu'elle devenait folle?
Et la photographe qui rit,
devant moi.
Quand je lui dis que ça ne se peut pas qu'il y ait du plaisir
à faire ça.
Elle m'envoie les siens
dans les miens,
D'yeux.
Et me demande si je veux
vraiment savoir.
- Oui.
- La petite, elle se marrait
à ne plus vouloir s'arrêter!
***
Pachowski du Bas-du-Fleuve?
Non.
Mais elle me dit avoir entendu parler d'une résidence par là.
Et qu'elle aimerait bien
y cueillir
Les arbres et la lumière.