Le métal québécois prête vie aux créatures de jeux vidéo

Un Troll et le personnage principal de Prince of Persia: Forgotten Sands
Photo: Ubisoft Un Troll et le personnage principal de Prince of Persia: Forgotten Sands

Si tout humain cache une bête en lui, l'inverse est un peu vrai aussi. L'industrie du jeu vidéo l'a compris en embauchant depuis quelques années des chanteurs de death métal pour camper les voix des créatures fantastiques que doivent affronter les joueurs. Une tendance qui s'impose dans le milieu et qui met les voix du métal québécois à l'honneur.

La quinzaine de monstres de Prince of Persia: Forgotten Sands [ci-après, PoP 2010], dernier-né des jeux vidéo d'Ubisoft, portent ainsi la griffe vocale de Sébastien Croteau du groupe Exhult, de Youri Raymond de Cryptopsy et Unhuman et de Marie-Hélène Landry de Borborygmes. Une pratique qui témoigne de la vitalité de la scène métal québécoise, à l'instar du festival Heavy MTL, dont la seconde mouture a résonné tout le week-end.

«On a eu l'idée d'aller vers des chanteurs de death métal parce qu'ils ont des voix entraînées, capables de créer des sonorités peu communes et parce qu'ils peuvent endurer de longues sessions d'enregistrement, explique Marc Léveillé, chef d'équipe pour la conception d'effets sonores chez Ubisoft. C'est une tendance qui s'étend, on a lancé le bal.»

Marie-Hélène Landry incarne notamment le Spectre, la Wraith et le Wizard, créatures plus frêles adaptées à ses fréquences plus hautes. Sébastien Croteau, qui cumule les rôles dans les jeux d'Ubisoft, campe ici le Troll, le Sumoner, le Charger 1. Youri Raymond donne voix entre autres au Charger 2 et à la Goule. Ce dernier a aussi signé les voix de monstres de jeux vidéo japonais, dans les studios de Wave Generation.

«Souvent, les monstres sont typiquement humanoïdes, ils sont bipèdes ou ont un visage avec deux yeux en avant, rapporte Richard Calamatas, designer de voix pour PoP 2010 chez Ubisoft. En allant chercher une voix humaine comme base, on reste avec l'idée que c'est un humanoïde qui attaque et pas des "bips" et "boop" d'une machine qui vient d'on ne sait pas trop où.»

Bref, l'étrangeté pure ne fait pas aussi peur qu'un mélange d'étrangeté et de familiarité. Les Frankenstein et autres bêtes humaines enfantées par la littérature des XVIIIe et XIXe siècles en font foi. Le cinéma d'animation hollywoodien a adapté le mythe en créant des monstres à voix humaine: Billy Cristal a prêté sa voix à Mike Wazowski de Monstres inc. et Myke Myers, à l'ogre vert Shrek. L'industrie du jeu vidéo pousse la formule un cran plus loin.

«On doit inventer une espèce de langage sans utiliser les mots, c'est un défi de rendre ça cohérent et plausible», résume Sébastien Croteau, chanteur d'Exhult, ex-Necrotic Mutation, ex-Globe Glotters et ex-Wetfish.

Les effets sonores traditionnels, soit le recours à des banques de sons d'animaux manipulés par ordinateur, ont vite montré leurs limites, tandis qu'ils continuent à remplir leur rôle au cinéma, domaine plus linéaire.

«Dans un jeu interactif, la même scène recommence souvent, on se bat souvent contre le même monstre, dit M. Léveillé. Alors, on ne pouvait plus utiliser la méthode traditionnelle parce qu'on n'aurait pas eu assez de variations d'émotions dans les cris de monstres.» Il dénombre environ 200 cris différents par bête dans PoP 2010.

Ubisoft faisait déjà appel à Sébastien Croteau en 2005, pour Far Cry: Instincts, puis pour POP 2008 et enfin pour Assassin's Creed 2. Youri Raymond s'ajoutait à la distribution de PoP 2008. Cet apport humain s'imposait dès qu'une production ludique reposait sur l'interaction avec plusieurs monstres. Depuis, les cris excentriques émis par les monstres n'ont plus de meilleurs interprètes que les chanteurs de death métal.

«On repousse les limites parce qu'on fait des sons gutturaux et super aigus, inspirés et expirés, note le chanteur Youri Raymond, qui entraîne sa voix depuis 15 ans au sein du groupe Unhuman et pour Cryptopsy depuis 2009. Tu ne verras jamais des sons inspirés en opéra, où chaque chanteur a aussi un range de voix attribué.»

Le chant métal repose sur l'utilisation des fausses cordes vocales, un petit amas de peau — même pas un muscle! — qui vibre quand les vraies cordes vocales s'écartent devant la puissance du cri.

«C'est un réflexe de protection que le corps se donne et certains ont appris à le contrôler pour en faire de l'art», explique Sébastien Croteau, dont la spécialité en chant de gorge en fait l'un des maestros du métal québécois.

Youri Raymond a pour sa part inventé un cri inédit en métal, le inhale growling, qu'il a mis à profit dans les séances d'enregistrement chez Ubisoft et Wave Generation.

Ces deux experts en modulations vocales se réjouissent d'ajouter ainsi «une corde à leur arc». Mais surtout, «ça ouvre une nouvelle avenue au métal», dit M. Croteau, en référence aux trames musicales des jeux, qui intègrent désormais ce genre musical. Belle carte de visite pour des artistes qui sont d'ailleurs souvent des adeptes du gaming. Youri va même jusqu'à y voir une occasion de redorer l'image du métal. «Ça démontre aux gens que ce n'est pas juste un passe-temps de garage, ou d'adolescent révolté.»

En retour, la polyvalence et l'endurance de ces artistes constituent un atout précieux pour les producteurs de jeux vidéo. «Ils deviennent un genre d'instrument spécialisé», note M. Calamatas. «Le résultat est vraiment satisfaisant, surtout quand on a un temps d'enregistrement restreint», dit M. Léveillé.

Les liens entre l'industrie du divertissement et la scène métal ne datent pas d'hier. Cookie Monster, célèbre personnage de l'émission jeunesse The Puppet Show, n'a-t-il pas légué son cri aux «métalleux» dans les années 70?


Photo Mélanie Champagne

Marie-Hélène Landry
alias Wraith

Photo Ubisoft

Photo Benoît Parizé

Sébastien Croteau
alias Troll

Photo Ubisoft

Photo Evanie Labelle

Youri Raymond
alias Ghoul

Photo Ubisoft

Tous les cris, avant et après le traitement numérique


À voir en vidéo