Simone Veil entre à l'Académie française «surprise et émerveillée»

Simone Veil était vêtue hier du costume vert de l’Académie française signé Chanel et dessiné spécialement par Karl Lagerfeld.
Photo: Agence Reuters Philippe Wojazer Simone Veil était vêtue hier du costume vert de l’Académie française signé Chanel et dessiné spécialement par Karl Lagerfeld.

Paris — Simone Veil a fait son entrée hier après-midi à l'Académie française, devenant ainsi la sixième «immortelle» dans l'histoire de cette prestigieuse institution française.

Âgée de 82 ans, l'ancienne ministre, rescapée de la Shoah, a toujours mené une vie de combats, d'abord de la mémoire, puis de la cause des femmes et de la construction européenne. Un parcours qui en a fait l'une des personnalités préférées des Français.

«Même si l'Académie française, dès sa naissance, a toujours diversifié son annuaire [...], elle demeure à mes yeux le temple de la langue française, a-t-elle souligné en introduction. Or, n'ayant moi-même aucune prétention littéraire, tout en considérant que la langue française demeure le pilier majeur de notre identité, je demeure surprise et émerveillée que vous m'ayez conviée à partager votre combat.»

Sous les yeux de trois présidents de la République — Nicolas Sarkozy et ses prédécesseurs Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac — et vêtue du costume vert de l'Académie signé Chanel et dessiné spécialement par Karl Lagerfeld, Simone Veil a poursuivi en expliquant que son père «révérait la langue française» et qu'il «serait ébloui que sa fille vienne occuper ici le fauteuil de Racine».

Dans un discours d'un peu moins d'une heure, Mme Veil a souligné que l'Académie française était «solidement marquée par un compagnonnage entre l'esprit des lettres et l'esprit des lois qui cheminent en France bras dessus, bras dessous».

«On croise ici toute une procédure et un vocabulaire qui me sont familiers et m'inclinent à penser que je me trouve bel et bien au coeur d'une assemblée, c'est-à-dire dans un lieu où se réunissent des hommes et des femmes qui considèrent que l'avis de plusieurs sera plus riche et mieux motivé que celui d'un seul», a-t-elle ajouté.

Comme le veut la tradition, l'ancienne ministre d'État, qui s'était battue pour légaliser l'avortement, a fait l'éloge de son prédécesseur dans le 13e fauteuil de l'Académie, l'ancien premier ministre Pierre Messmer, saluant son sens du service de la nation, «un héritage à méditer et à saluer».

Elle a aussi salué «cette sagesse, cette indifférence aux qu'en-dira-t-on, à la loi des médias» et en offrant une véritable leçon de ce qui est pour elle le service civique.

«Un devoir parfois ingrat incombe à l'homme politique. Quand il accepte un mandat ou une mission, sa personne et ses sentiments doivent s'effacer. Il se doit de définir et d'appliquer la politique la plus conforme à l'intérêt général. Une part de la grandeur de ce métier-là, cela s'appelle le courage. [...] Un homme politique ne doit pas chercher à plaire, mais à agir», a-t-elle affirmé.

L'ancienne présidente du Parlement européen est enfin revenue sur son attachement à la construction européenne et au couple franco-allemand, s'estimant «heureuse de devenir aujourd'hui dans cette enceinte l'un des porte-parole de cette idée européenne qui illustre depuis ses origines l'Académie».

Citant Victor Hugo, tout juste élu à l'Académie française en 1841 et qui avait ébauché un projet d'union européenne, elle a rappelé que France et Allemagne sont «frères dans le passé, frères dans le présent, frères dans l'avenir».

«Fraternité et avenir, sous l'égide de ces beaux mots, tout naturellement chez vous, je suis fière d'être reçue par votre compagnie», a-t-elle conclu.

Jean d'Ormesson a ensuite prononcé le discours de réception de Mme Veil. Celui qui avait déjà accueilli Marguerite Yourcenar en 1981, première femme à avoir été élue sous la Coupole, a cette fois-ci rendu hommage à la femme de «courage», à son «indépendance», à ses «convictions», «jamais partisanes», à la «féministe» qui suscite «admiration» et «affection».

L'écrivain a commencé son discours émouvant, de près d'une heure, par des vers de Racine, qui siégea dans ce même 13e fauteuil. Il a raconté la vie de la famille de l'académicienne, avec en fil rouge, la Shoah, «l'enfer», qui a tué son père, son frère et sa mère et a imprégné sa «détermination», son «caractère», ses «choix», son «parcours dans la magistrature» et en politique, quelle que soit «l'agitation des esprits».

L'homme de lettres a salué celle «qui a traversé vivante le feu de l'enfer» et qui est devenue une figure «de proue en avance sur l'Histoire».

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