Le vrai visage du capitalisme

Bouli Lanners et Yolande Moreau dans Louise-Michel, de Benoît Delépine et Gustave Kervern
Photo: Bouli Lanners et Yolande Moreau dans Louise-Michel, de Benoît Delépine et Gustave Kervern

Les effets de la mondialisation, comme celui de la délocalisation des entreprises vers des climats fiscaux plus cléments, prennent une coloration drôlement grotesque dans Louise-Michel, le troisième long métrage d'un tandem qui manie l'humour noir comme une arme de destruction massive. Benoît Delépine et Gustave Kervern, bien connus à la télévision française avec l'émission satirique Groland, passent souvent pour des Belges et on comprend pourquoi: leur sens de la dérision, ce refus de l'image esthétisante et cette capacité de traiter des sujets graves sur un ton désinvolte, voire surréaliste, en font de véritables oiseaux rares.

Il n'y avait qu'eux pour imaginer pareil duo dans Louise-Michel, deux paumés qui vont vite passer du statut de zéro à celui de héros, champions improbables de la cause ouvrière contre le capitalisme triomphant. Que Louise (formidable Yolande Moreau) ne sache pas lire et que Michel (Bouli Lanners, l'archétype du clown triste), simple gardien de sécurité, fasse croire qu'il est un tueur à gages, voilà qui pimente une intrigue construite subtilement, sur la piste mystérieuse des lieux de pouvoir de la haute finance. Car lorsqu'une usine ferme (brutalement, l'espace d'une nuit) ses portes en Picardie et que l'une de ces nouvelles chômeuses, Louise, la plus taciturne et la plus étrange, décide qu'il faut buter le patron, celui-ci n'est pas caché derrière un bureau à deux pas des machines.

On le croit d'abord terré dans une résidence cossue d'un quartier chic, plus tard à Bruxelles, et finalement sur Jersey, une île anglaise et surtout un paradis fiscal. Cette traversée du capitalisme s'avère riche en rencontres explosives (un illuminé recrée les événements du 11 septembre 2001 dans sa cour...), en quiproquos farfelus (sur la véritable identité sexuelle des deux protagonistes) et autres morceaux d'anthologie (l'immobilité de la caméra rehausse l'absurdité de ce qui se trame à l'intérieur du cadre: d'un danseur nu aux jambes étonnantes à la mort tragique d'une vache au milieu d'un champ, rien ne résiste à l'esprit caustique des cinéastes).

Tout cela ne serait ni amusant ni grinçant si Louise-Michel n'était pas parfaitement ancré dans une réalité sociale qui, en surface, ne favorise pas la rigolade. Les travailleuses y affichent une lassitude jamais feinte et le décor, souvent glauque ou sans relief, révèle l'ampleur de la grisaille qui environne ces nouveaux damnés de la terre. Ce monde semble lui-même en proie à une lente désintégration, comme en témoigne cette image spectaculaire de la destruction du HLM de Louise, ruines fumantes où semble naître un nouvel esprit de rébellion.

C'est cette détermination que célèbrent les deux cinéastes, sans prêchi-prêcha ni bréviaire marxiste (l'allusion à la militante anarchiste Louise Michel arrive, judicieusement, en fin de parcours). De cette comédie à l'humour corrosif émergent deux antihéros qui n'ont à peu près rien dans les mains, encore moins dans les poches, mais qui refusent leur triste condition, et plus tard des vêtements qui ne reflètent pas leur vraie nature. Par contre, sur le véritable visage du capitalisme, Louise-Michel ne rate jamais sa cible. De quoi faire trembler bien des patrons, et pas seulement ceux qui ont goûté à la séquestration.

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Louise-Michel

Réalisation et scénario: Benoît Delépine et Gustave Kervern. Avec Yolande Moreau, Bouli Lanners, Benoît Poelvoorde. Image: Hugues Poulain. Montage: Stéphanie Elmadijan. Musique: Gaëtan Roussel. France, 2008, 94 min.

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Collaborateur du Devoir

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