Radio - De la nécessité d'entendre Pierre Perrault

À compter de 20 h ce soir, et pour tous les lundis de mai, la radio de Radio-Canada diffuse une excellente série consacrée au cinéaste, poète et dramaturge Pierre Perrault (1927-1999). Ce sera pour plusieurs l'occasion de découvrir l'homme derrière certains de nos plus grands films, dont Pour la suite du monde (1962), pur chef-d'oeuvre qui ne cesse d'étonner, ici comme ailleurs.
Pierre Perrault, on le sait, était fasciné par l'éloquence des gens de peu. Même pour la radio, dont il fut un artisan brillant, il avait eu l'idée, très tôt, de donner la parole publique à des gens que l'on n'entendait jamais. Dans la série radiophonique J'habite une ville, Perrault portait son attention sur les petits et les sans-grades, «ces millions d'hommes publiquement transportés, imposés à la source, mal rémunérés et plus ou moins catholiquement syndiqués, assurés du chômage, sur la terre comme au ciel».À compter des années 1950, Perrault utilise le micro et la pellicule pour «capturer la vie de son pays» et décrire une réalité qui, très souvent, ne se sait pas encore québécoise.
Il admire Jacques Cartier, le découvreur, dont il peut citer par coeur de très longs extraits. Lui-même sans cesse «entre la mer et l'eau douce», arpentant le pays dans des cycles de films consacrés aux Amérindiens, à l'Abitibi et au grand fleuve, Perrault s'apparente à un découvreur du réel qui repousse violemment les excès de la fiction. Toute sa vie, il accuse l'univers de la fiction d'avoir privé les gens de leurs propres rêves et d'avoir ainsi contribué, surtout en un pays dominé comme le Québec, à faire détourner le regard des gens sur l'importance de la vie vraiment vécue.
La différence entre documentaire et fiction est pour lui énorme, définitive: «La fiction filme ce qui est raconté. Le documentaire raconte ce qui est filmé.» Le documentaire lui semblait supérieur parce qu'il raconte l'histoire des hommes plutôt que de leur en imposer une.
Dans son oeuvre, «Capteur Perrault», comme le nomme si bien le poète Michel Garneau, montre à quel point la parole est vivante dans ce monde que l'on dit pourtant sans mot.
Perrault, que j'ai beaucoup vu travailler moi-même dans les dernières années de sa vie, transcrivait sans cesse avec beaucoup d'attention la parole des personnages de ses films afin de pouvoir mieux la visiter ensuite. Il construisait de la sorte des livres à partir de ses tournages et, surtout, des tournages à partir de son immense désir de faire découvrir l'univers de la parole. «On choisit de tourner en fonction des qualités du discours», répétait-il, avant de conclure que l'on cherche après coup, tout au plus, ce qui est déjà dans le tournage.
Aujourd'hui 4 mai, c'est au cinéma direct, dont Perrault est un des pionniers, que se consacre ce premier épisode de Pierre Perrault: un poète sans bon sens. Cette série de quatre épisodes est réalisée par Mathieu Beauchamp et Charles Plourde, avec la collaboration de Jean-Philippe Pleau. Dix ans après la mort de Perrault, cette excellente série contribue de belle façon à faire comprendre à quel point un homme semblable nous manque.