De qui s'agit-il? - Être ou ne pas être un génie?

«Paris sera mon école, Rome mon université», prophétie erronée pour sa première partie puisqu'il n'étudiera jamais à Paris. Il connaîtra pourtant bien la France et son théâtre, qu'il découvrira enfant dans sa propre maison réquisitionnée par l'armée française. Adulte, il fait des études en droit qui lui apporteront plus d'ennui que d'inspiration. Il défendra néanmoins quelques causes importantes avant d'entrer au service d'un jeune chef d'État. Mais la cour devient lassante et les charges administratives, lourdes pour cet être ambitieux qui, à l'instar de ses héros tragiques, gravitera toujours autour des plus hautes instances du pouvoir.

C'est dans la campagne qu'il découvrira comme un trésor perdu les chansons folkloriques et les légendes du terroir dont il saura faire usage dans son oeuvre. Pendant ce même voyage, une cathédrale très haute lui inspirera un essai. La campagne ne sera que la première étape d'un long itinéraire de voyage pour cet être épris de culture. Il aura sa propre conception de ce que cette culture doit exprimer et des chemins de l'âme qu'elle doit ouvrir. Pour les révolutions et les soulèvements populaires, il n'aura que mépris et haïra également ceux qui les font et ceux qui les rendent inévitables. À son sens, les guerres et la destruction qu'elles engendrent détournent l'homme de la culture et devraient être évitées à tout prix.

L'histoire nous enseigne qu'une de ses premières pièces contribua à faire lever tempête et passion dans les lettres européennes. On pourrait dire de ses héros dramatiques qu'ils avaient beaucoup de coeur, un coeur qui battait au centre d'un des plus importants mouvements littéraires de la modernité. En ce qui le concerne, le coeur de cet intrépide buveur battra pour plusieurs femmes à la fois. On se souviendra surtout de cette dame de cour avec laquelle il entretiendra une correspondance abondante et qu'il aimera passionnément.

Entre la passion amoureuse, où tant d'autres se sont brûlés, et le confort pragmatique qu'offrent les mariages de raison, il fera le choix le plus raisonnable. À la surprise de son entourage, il épousera une simple ouvrière, peu lettrée, mais dotée d'un sens pratique hors du commun, une femme qu'il lui sera possible d'aimer.

Est-il possible de parler de l'homme sans parler de l'Italie, dont il a rêvé dès l'enfance? Ce pays gorgé de soleil servira de décor pour une de ses pièces importantes et d'inspiration pour toute son oeuvre.

Être ou ne pas être un génie? Dans son cas, la question se pose à peine. Ce qui est sûr, c'est que peu d'hommes pourraient se vanter d'avoir exercé une telle influence sur leur langue maternelle. Dans la tourmente de ces années troubles pour une nation à la recherche de cohésion politique, il fera figure de génie fédérateur dont toute l'Europe se réclamerait un jour.

Des bibliothèques entières ont été écrites au sujet de sa pièce la plus connue, qui d'ailleurs n'est presque jamais montée dans son intégralité. Il sut mettre l'amour en scène de façon magistrale. Pour écrire les chemins de la passion, il mettra à son service esprits, sorcières, elfes et tout un monde secret. Il remuera ciel et terre comme s'il avait un magicien à son service. L'oeuvre saura inspirer les compositeurs, notamment Verdi.

On dira de lui qu'il avait besoin de douze heures de sommeil par nuit. Et pourtant, ses dernières paroles furent: «Plus de lumière.» On ne saura jamais si le poète demandait simplement que l'on ouvre les rideaux de la pièce obscure où il était assis, si notre bas monde était dans les ténèbres ou si, au seuil du trépas, il apercevait déjà la clarté éblouissante de l'au-delà.

De qui s'agit-il?

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Réponse de l’énigme du 5 juillet: André Gide (1869-1951), auteur des Nourritures terrestres et Prix Nobel de littérature 1947.

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