Les 15 ans d'Éloize - Un tournant dans la vie de la troupe née aux îles de la Madeleine

Lancé un soir de Perséïdes en août 1993 aux îles de la Madeleine, le petit cirque Éloize, qui a longtemps grandi dans l'ombre de son aîné solaire, ne fait pas partie de ces étoiles qui filent sans laisser de traces. Après 15 ans d'existence et sept productions, Éloize n'a plus rien à envier à son aîné circassien avec plus de 300 représentations données dans 30 pays devant trois millions de spectateurs.
Si on entend peu parler d'Éloize, c'est que la troupe globe-trotter passe la majorité de son temps à sillonner les scènes de la planète, bien loin du Québec. Sauf cet été, où elle effectue un rare arrêt chez nous pour présenter Rain, comme une pluie dans tes yeux, à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Sherbrooke. Comme gâteau d'anniversaire, Éloize ouvrira en grande pompe en septembre la saison du Théâtre du Nouveau monde (TNM) avec sa dernière création, Nebbia, lancée à Genève en décembre 2007.Avec ses acolytes Julie Hamelin, Daniel Cyr et Jonathan Saint-Onge, Painchaud a développé au fil des ans une direction quadricéphale et tissé un réseau international qui lui assure maintenant des entrées sur les scènes d'Europe, d'Amérique et d'Asie. En 2004, la compagnie a hérité de la gare Dalhousie, site de l'ancienne École nationale de cirque (ENC), une sorte de consécration pour cette compagnie nomade. «La gare, nous y avons grandi. Nous y avons été des élèves mais n'avions jamais imaginé que ça nous appartiendrait un jour», soulève Daniel Cyr.
Acclamé par la critique un peu partout dans le monde, le cirque Éloize compte maintenant deux productions en tournée continue, Rain et Nebbia, et multiplie les spectacles sur mesure et les événements spéciaux (500) sur quatre continents. «Les événements spéciaux représentent maintenant près de 20 % de nos revenus. Nous sommes récemment allés en Inde et en Jordanie pour ce type de créations qui contribuent à développer notre réseau de partenaires d'affaires», affirme Jeannot Painchaud, cofondateur d'Éloize avec Daniel Cyr et Claudette Morin.
Petit cirque
deviendra grand
On est bien loin aujourd'hui du petit cirque madelinot artisanal qui, il y a 15 ans, devait quémander tout son matériel à l'École nationale de cirque (ENC) pour se donner en spectacle. Si sept Madelinots ont donné naissance à Éloize en 1991 — «éloize» est une expression des Îles qui veut dire «éclair de chaleur» —, ce n'est qu'en 1993 qu'une troupe est fondée en bonne et due forme, après ce fameux spectacle donné sous un chapiteau rempli à bloc aux îles de la Madeleine.
En 1995, le passage de la troupe dans le cadre d'une vitrine culturelle à Philadelphie propulse littéralement Éloize en orbite. Dans les douze mois qui suivent, la troupe inaugure le New Victory Theater à New York et vend 125 représentations à travers le monde. «C'est vraiment cet événement qui nous a lancés sur les scènes culturelles à l'échelle internationale», affirme aujourd'hui Jeannot Painchaud.
À ce moment, la décision est prise de développer des spectacles en salle plutôt que sous chapiteau. «Ce qui était d'abord une nécessité, faute de moyens, est devenu un choix artistique. C'était clair pour nous qu'il y avait une logique théâtrale dans nos spectacles», ajoute-t-il.
Cette formule compacte est idéale pour tourner autour du globe. Mobile à souhait, la troupe voyage d'un continent à l'autre. Un jour en Europe, un autre en Asie, Éloize est surnommé «the circus in a suitcase» par les producteurs internationaux. Après une première production portant son nom, Éloize poursuit avec Circus Excentricus (1997-2002), puis Cirque Orchestra (1999-2002), une création avec orchestre symphonique qui flirte avec la danse contemporaine.
«C'est vrai qu'au début, notre défi était de nous distinguer du Cirque du Soleil. Mais aujourd'hui, notre particularité est reconnue partout dans le monde», soutient le codirecteur d'Éloize.
Vient ensuite un rendez-vous déterminant dans la trajectoire d'Éloize. En 2001, Hamelin et Painchaud recrutent le metteur en scène italien Daniele Finzi Pasca, un virtuose de l'émotion, qui finira de forger la marque humaniste d'Éloize avec les créations oniriques Nomade, Rain et Nebbia. Avec cette trilogie du ciel, la troupe obtient une véritable consécration dans le milieu des arts de la scène et remporte un prix sur Broadway. «Daniele a apporté une touche théâtrale fondamentale pour la troupe. Son travail sur la nostalgie et la sensibilité a marqué nos sept dernières années», affirme Painchaud.
À la croisée des chemins
Et maintenant? C'est l'heure des crises existentielles. Lancée à la vitesse grand V, Éloize pourrait continuer à croître à un rythme trépidant. Mais dans ce tourbillon, Éloize risque-t-il de perdre son âme? «Notre cirque a un caractère familial, quasi clanique, auquel nous tenons à tout prix. Mais il faut aussi assurer la pérennité de la troupe», soupèse Painchaud. Éloize, qui a réussi à engager certaines années près de la moitié des finissants de l'ENC — que tous les cirques s'arrachent — doit maintenant s'assurer de les garder dans son giron en leur offrant de nouvelles créations.
En fait, la direction d'Éloize vit les mêmes dilemmes que ceux qu'a connus le Cirque du Soleil à l'époque. Mais contrairement à ce dernier, Éloize se tient à distance des propositions des casinos. «Les gérants de casino, ce qu'ils veulent, c'est de l'argent. Nous cherchons plutôt des partenaires dans le milieu du théâtre et de la scène», assurent les codirecteurs.
Des projets de spectacle permanent en Corée, proposés par un important producteur lié aux arts de la scène, planent d'ailleurs dans l'air. Mais rien n'est encore décidé. «Nous réfléchissons toujours», lance la direction à quatre têtes.
Plus que jamais, Éloize se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. Des chemins qui réservent encore bien des surprises.