De multiples menaces assiègent Machu Picchu

Chaque jour, environ 1500 touristes foulent le sol de Machu Picchu, contribuant à la détérioration de l’ancienne cité inca du XVe siècle découverte en 1911 par un Américain.
Photo: Agence France-Presse (photo) Chaque jour, environ 1500 touristes foulent le sol de Machu Picchu, contribuant à la détérioration de l’ancienne cité inca du XVe siècle découverte en 1911 par un Américain.

Québec — L'UNESCO hausse le ton dans le dossier de la cité inca de Machu Picchu, au Pérou, et recommande une surveillance renforcée de ce site malmené par la manne touristique et une administration déficiente.

Le Comité du patrimoine mondial, qui mettait fin hier à sa 32e session tenue à Québec cette semaine, a exprimé par voie de communiqué «ses graves inquiétudes sur la gouvernance du site». Depuis l'inscription de Machu Picchu sur la Liste du patrimoine mondial en 1983, la situation de ce site a été discutée à pas moins de 27 reprises à l'UNESCO. Et les problèmes se multiplient.

Ainsi, en plus de subir la pression des hordes de touristes, la cité située dans les montagnes doit désormais composer avec le développement «incontrôlé» de la ville voisine d'Aguas Calientes et des problèmes «urgents» de glissements de terrain, de déforestation et d'accès illégaux au site.

«Les représentants péruviens disent que ce n'est pas si grave que ça, mais le comité a jugé que ça l'était. On veut avoir des réponses régulières pour nous rassurer», a expliqué la présidente du Comité, Christina Cameron.

Pour faire pression, le comité a donc inscrit Machu Picchu sur la liste des sites requérant une «surveillance renforcée». Créée l'an dernier, cette nouvelle liste vise à hausser d'un cran la surveillance déjà effectuée sur les sites jugés en péril. «Dans les cas qui sont plus précaires, cela permet au Centre du patrimoine mondial d'avoir une communication plus régulière avec les administrateurs du site pour suivre de plus près son état de conservation.»

D'après un porte-parole de l'UNESCO, Rony Anelan, il y aurait à Machu Picchu «un problème de coordination» entre les différentes autorités qui gèrent le site. «Tout le monde se relance la balle.»

Chaque jour, environ 1500 touristes foulent le sol de l'ancienne cité découverte en 1911 par un Américain. Aussi, les experts en patrimoine étaient plutôt mécontents, l'an dernier, quand le site a été sélectionné parmi les «nouvelles merveilles du monde» lors d'un vote populaire. D'autant qu'il avait déjà eu droit à son lot d'agressions. En 2000, par exemple, lors du tournage d'une annonce de bière, le maniement d'une grue avait abîmé une pierre considérée comme sacrée.

Souci pour Tombouctou mais pas pour Québec

En plus de Machu Picchu, trois sites nécessitent une «surveillance renforcée», soit Bordeaux, Tombouctou et Samarcande. Dans le cas de Bordeaux, le site du port (le port de la Lune) venait à peine d'être classé l'an dernier quand la Ville a détruit le pont de Perthuis. On craint désormais qu'un nouveau pont ne détériore encore davantage ce lieu où la Garonne forme un croissant autour de la ville.

Dans le cas de Samarcande (Ouzbékistan), où se trouve notamment une magnifique mosquée, le comité prend acte des «progrès effectués» pour protéger la cité historique classée en 2001 mais note que «de nouvelles routes et des bâtiments» pourraient l'affecter «en l'absence d'un cadre réglementaire adéquat».

À Tombouctou (Mali) aussi des efforts avaient été effectués pour protéger les vestiges de ce qui a été une grande capitale intellectuelle de l'Islam au cours des XVe et XVIe siècles. Des efforts suffisants pour qu'en 2005 on retire le site de la Liste du patrimoine mondial en péril. Or le comité s'inquiète désormais «de nouvelles constructions à proximité des mosquées, notamment celle du Centre culturel Ahmed Baba, et a demandé une analyse de leur impact sur le site».

Un recul «décourageant», juge Christina Cameron, qui rappelle que le site aménagé sur terre battue comprend des «archives extraordinaires». «Le nouveau centre culturel qu'ils sont en train de construire serait collé sur les anciens bâtiments. On parle d'un véritable empiétement sur le site.»

Par ailleurs, le comité continuera d'exercer une «surveillance renforcée» sur sept sites sélectionnés l'an dernier: la vallée de l'Elbe à Dresde (Allemagne, inscrite en 2004); la vieille ville de Jérusalem et ses remparts (inscrits en 1981) et les cinq sites du patrimoine mondial de la République démocratique du Congo (parc national des Virunga, parc national de Kahuzi-Biega, parc national de la Garamba, parc national de la Salonga et Réserve de faune à okapis).

Par ailleurs, le comité n'a ajouté aucune inscription à la Liste du patrimoine en péril, qui compte à ce jour 30 sites. On a notamment décidé de ne pas inclure les grottes de Lascaux, comme le réclamait le comité scientifique international, qui l'a pris en charge depuis 2002. Fermée au public depuis 1963, la grotte aux prodigieux dessins préhistoriques est la proie de champignons qui produisent des taches.

«Le défi scientifique est vraiment énorme parce qu'il y a trois sortes de champignons différents. Mais comment appliquer trois types de traitement différents sans faire de dommages?», a remarqué Mme Cameron, qui ajoute que les grottes n'ont pas été inscrites sur la Liste des sites en péril parce qu'elles posent d'abord des défis scientifiques, alors que dans la plupart des cas la menace provient plutôt de phénomènes comme le développement urbain ou le braconnage.

Les membres n'ont pas non plus profité de leur passage dans la vieille ville de Québec pour discuter de son statut de ville du patrimoine mondial, une menace brandie par la ministre Christine St-Pierre plus tôt cette année dans la foulée de la destruction de la façade de l'église Saint-Vincent-de-Paul et reprise plus récemment par des opposants à Rabaska.

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Avec Associated Press

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