Vitrine du disque
Monde - L'hiver peul, Souleymane Diamanka, Universal France - Par sa gravité, la voix rappelle celle de Grand Corps Malade. Et comme lui, il slame. Et même avec lui dans une pièce. Mais Diamanka aura tôt fait de se livrer sur le ton du recueillement en hal puular, la langue que son père lui a léguée et qu'il fait découvrir à l'occasion. Également Français, il se tient droit debout sur les deux cultures, et non entre les deux. Comme un pauvre griot au pied du baobab en béton, pour le paraphraser. Une majorité de textes sont dits en français sur une pulsion et avec des mots ou terminaisons qui rappellent la sagesse et le caractère décontracté du peuple nomade. L'hiver peul est celui de tous ces gens qui quittent le pays natal pour sortir de la misère. Parfois, on entend le son du griot ou la musique du Sahara. La musique est alors plus présente. Pour le reste, elle ne sert que d'habillage au service du texte, n'est dégagée ni d'effets atmosphériques ou dramatiques, ni de soul, de funk ou de jazz. Les duos sont fréquents. Avec Kayna Samet, la chanteuse soul. Avec Roy Ayers, le vibraphoniste de jazz. Avec le poète polonais John Banzaï, son jumeau impossible. Une belle découverte que propose le FINA le 14 juillet au Balattou. - Yves Bernard
Monde - Many things, Seun Kuti + Fela's Egypt 80, DisorientEncore plus que son frère, Seun, qui se prononce Shéoun, reprend le flambeau de l'afrobeat 101 que leur père «The Black President» avait inventé pour donner aux Blacks une arme d'émancipation. Un rap avant le rap. Ou plutôt une forme incendiaire entre le chant et le discours politique en mode d'appel-réponses sur fond de percussions Yorubas et autres traditions nigérianes, de lignes de guitares à la James Brown, de vieux highlife, de saxo rugueux; cela dans une atmosphère de rythmiques hypnotiques et d'improvisations débridées qui puisent aux sources du jazz. Une formidable musique d'urgence que Seun reprend ici avec le dernier big band du père, de façon moins déglinguée que lors du concert de l'an dernier au Festival de jazz, mais non moins dégagée de cet esprit terreux, de cette matière brute. Seun ne fait pas dans la dentelle. Don't Give that Shit to Africa, rugit-il sur une pièce, politisée et tranchante comme toutes les autres du disque sauf une, à caractère plus érotique. De son propre aveu, Seun n'est pas le plus grand musicien, mais sa musique possède la force qui fait bouger les continents. À voir dimanche avec H'Sao au Métropolis. - Yves Bernard
Country-folk - All I Intended to Be, Emmylou Harris, Nonesuch
La grande dame du country-folk américain est de retour. Il était temps: cinq ans qu'on se repassait Stumble into Grace, huit pour Red Dirt Girl et treize depuis le monumental Wrecking Ball, réalisé par Daniel Lanois. Trois albums qui signaient une transition majeure pour Harris: celle vers un son dont les accents country étaient moins carrés, enveloppés dans une production plus atmosphérique, où la voix cristalline, fabuleusement belle et pure de Harris, venait se glisser avec souplesse. La revoilà donc. Mais revoilà surtout le réalisateur Brian Ahern, forgeur du son Harris dans les années 70 et 80, onze albums et un mariage ensemble. On ne se surprendra donc pas de voir Harris revenir à des sonorités plus country sur All I Intended to Be: on assiste en fait à la fusion des deux versants de Harris, un pied dans la pureté de ses premières années, l'autre dans l'atmosphère de ses derniers disques. Alors? C'est le meilleur de ce que le country-folk américain peut offrir, textes, mélodies, ambiance... Petit régal dans le genre. - Guillaume Bourgault-Côté
Post-rock - TNT/Conifères, Esker Mica, Indépendant
Jadis, Esker Mica était un duo folk, selon ce que des observateurs de la scène émergente avaient pu entendre. Nous, on découvre aujourd'hui les Montréalais en quintet, et à travers une musique qui a tout du post-rock. Autre ampleur, autre amplitude. Ici on vole haut dans le ciel, naviguant entre les nuages de pluie et la forêt sombre. Cet album de six titres commence par une instrumentale — dont les accords plaqués de piano rappellent nettement To Build a Home, de Cinematic Orchestra — avant de se poursuivre avec cinq pièces chantées, dont une en islandais. Difficile, donc, de ne pas faire un parallèle avec la musique de Sigur Rós, avec un brin plus de guitare acoustique. Les morceaux construits en montagnes russes sont plutôt pesants, la voix et le ton un brin négligents du chanteur ajoutant à l'agréable sensation d'apesanteur créée par Esker Mica. Les textes sont aussi chargés que la musique, et ils demandent un peu de débroussaillage, mais une fois l'élagage fait, on y trouve des arbres bien enracinés. À voir à Osheaga le 4 août, ou dès maintenant au www.eskermica.com. - Philippe Papineau
Classique - Ivanov, Con passione. Yossif Ivanov (violon), Itamar Golan (piano). Ambroisie AM 136 (Naxos).
Les mélomanes montréalais auront toujours un avantage sur tous les autres s'agissant de Yossif Ivanov: ils ont vu ce talent exceptionnel éclore à l'âge de 16 ans au Concours musical international. Le Yossif Ivanov que l'on retrouve aujourd'hui en a 23, arbore un bouc de vedette de cinéma, prépare son premier enregistrement de concertos (Chostakovitch 1 et Bartók 2). Il s'affirme encore davantage artistiquement et, surtout, joue sur un Stradivarius, le Piatti de 1717. C'est dire qu'entre le Ivanov dont nous nous souvenons ici et le conquérant qui part à la conquête des scènes mondiales, il y a une différence qui dit tout du potentiel de cet artiste. Ivanov reste cependant le musicien intègre et sobre qu'il a toujours été. Pas plus d'esbroufe dans Tzigane de Ravel que dans le profond Poème de Chausson: le son est habité, vivant, tenu. Et le titre Con passione est très juste, car il faut de la passion pour jouer Kreisler, Tchaïkovski, Sarasate et Waxman avec le souci premier de faire de la musique plutôt que des acrobaties. Prise de son un peu trop proche, hélas. - Christophe Huss
Classique - Varèse, Amériques (version originale 1921), Ecuatorial, Nocturnal, Ionisation, Hyperprism, Densité 21,5, etc. Orchestre national de la Radio polonaise, Christopher Lyndon-Gee. Naxos 8.557 882.
L'influence d'Edgar Varèse (1883-1965) sur la création musicale au XXe siècle est phénoménale. Varèse fut un visionnaire, encore plus en avance sur son temps que Stravinski, et, surtout, il n'abdiqua jamais. Ce second volume de Lyndon-Gee (pour sept des neuf pièces) chez Naxos est une révélation, puisqu'il compte à la fois la seule pièce de jeunesse survivante, Un grand sommeil noir pour voix et piano, mais aussi, et surtout, la version originale (1921), pour 155 instrumentistes, de la pièce maîtresse qu'est Amériques. La partition est très différente, tant dans ses couleurs et ses effets (instruments hors scène) que dans son texte (cf. la fin de l'oeuvre). La version révisée est plus dense et plus déterminée, mais cette «première éruption» est fascinante. Christopher Lyndon-Gee est l'homme de la situation: son interprétation fulgurante d'Hyperprism balaie la concurrence, autant que l'étagement dynamique et spatial d'Ionisation. La musique de Varèse reste étrange et dérangeante, mais ce CD rend hommage, ô combien, à son génie. - Christophe Huss