Les Correspondances de Groucho Marx - Deux hommes et un Groucho

Le rideau s'ouvre sur un trio de jazz en action. Au centre de la scène, un canapé en cuir marron s'expose en toute sobriété, alors qu'au loin, devant un miroir, un homme met une dernière touche à son maquillage. En se dandinant.
La musique s'arrête. Côté cour, un homme arrive un cahier dans les mains. Il lit: une lettre adressée à l'humoriste américain Groucho Marx par un éditeur new-yorkais. C'est une demande formelle pour publier une partie des correspondances que l'artiste a entretenues avec une centaine de ses contemporains dans les dernières années. La réponse ne se fait pas attendre.«Votre lettre a été reçue et immédiatement brûlée. Je préfère ne pas avoir d'étrangers qui viennent fouiller dans ma correspondance. J'aimerais discuter de ça en détail, mais ma secrétaire a un rendez-vous dans cinq minutes. Avec moi.»
Le texte est savoureux. Il a aussi été porté hier soir par l'acteur français Jean-Pierre Marielle venu avec son complice Pierre Vernier donner vie, le temps d'un spectacle, aux facéties épistolaires du plus célèbre des Marx Brothers, cette formation comique qui a déridé l'Amérique au début du siècle dernier. La chose a été justement baptisée Les correspondances de Groucho Marx. Elle est présentée pour cinq autres soirs dans le cadre du Festival Juste pour rire.
Plongée en règle dans le cynisme, l'autodérision, l'amertume et l'esprit fin de ce drôle de Groucho, ces lectures à deux voix, reconnaissables parmi mille, donnent aussi une balade intimiste surprenante sur le dos d'une plume, celle acerbe et cinglante d'un amateur de mots et d'idées. Des idées tordues, loufoques, mordantes envoyées entre 1941 et 1965 à des amis, de la famille, des relations professionnelles, des éditeurs de magazines ou des critiques. Et on comprend très vite les raisons qui les ont amenés, tous ou presque, à conserver les missives.
«Je suis amoureux, écrit-il en juin 1941 à son ami Arthur Sheekman, scénariste de son état. La seule arête dans le potage, c'est qu'elle a 22 ans et moi 97. C'est sans doute pour cela que je ne me souviens plus de son prénom».
Loin d'être désopilante, cette correspondance anecdotique pose malgré tout, avec un humour fin et vachement textuel, un regard amusant sur une époque que les moins de 20 ans... mais aussi sur le quotidien d'un acteur qui a aimé rire beaucoup des autres et surtout de lui, autant au sommet de la gloire qu'une fois arrivé en bas.
Et forcément, le sublime de ces échanges intimes, même s'il souffre d'un théâtre Jean-Duceppe trop grand et trop froid pour ce genre d'exercice, trouve malgré tout son chemin entre deux acteurs septuagénaires qui n'ont plus rien à prouver... et qui ne s'en portent pas plus mal.