Le pillage et le trafic des biens culturels est en plein essor en Irak et ailleurs

Athènes — Le pillage et le trafic de biens culturels connaît un essor inquiétant, attesté par la mise à sac archéologique de l'Irak, ont mis en garde hier à Athènes des experts du monde entier au deuxième jour d'une conférence sur ce thème sous l'égide de l'UNESCO.

«Avec les situations de guerre en cours et le développement d'une criminalité organisée — alors qu'auparavant, c'étaient les pays conquérants ou occupants qui se servaient —, nous faisons face à un regain du pillage culturel», a souligné auprès de l'AFP Udo Göbwald, directeur pour l'Europe du Conseil international des musées (ICOM).

«Le fait est que la culture se vend de plus en plus, et de plus en plus cher, d'où un boum du trafic lié aux zones de non-droit», a aussi relevé Françoise Rivière, sous-directrice générale pour la culture à l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).

Non seulement le pillage lèse le pays concerné, il entraîne aussi le risque d'effacer des pans entiers de son passé en sortant l'objet de son contexte archéologique, ont souligné de nombreux participants à la conférence, conservateurs, directeurs de musée, archéologues ou juristes.

Le cas irakien est exemplaire, selon Mme Rivière: outre que les fouilles sauvages ravagent parfois les sites au moyen de bulldozers, «nous en sommes au point où nous redoutons que les trafiquants ne jettent ou détruisent des tablettes cunéiformes, car il y en a tellement en circulation que leur valeur est en chute».

Sur quelque 14 000 pièces volées lors du pillage du Musée de Bagdad, en avril 2003, moins de la moitié d'entre elles ont pu être récupérées, dont environ 4000 pièces à l'étranger, a pour sa part indiqué le colonel américain Matthew Bogdanos, chargé de l'enquête sur cette mise à sac.

«Il est très difficile de repérer ces pièces. Les acheteurs, des négociants mais aussi des musées, sont patients et attendent», a-t-il souligné.

Faute de pouvoir lutter contre le pillage avec seulement «1400 gardiens pour quelque 12 000 sites», l'Irak veut que la communauté internationale renforce sa lutte contre le trafic et facilite la restitution des vestiges, a insisté Bahaa Mayah, conseiller du ministre irakien de la Culture.

«Il y a des pays européens qui saisissent des pièces mais nous demandent d'aller en justice pour les récupérer. Nous n'en avons pas les moyens, ce sont ceux qui sont en possession de ces biens qui devraient prouver la légalité de leur provenance, comme c'est le cas en Grande-Bretagne ou aux États-Unis», a-t-il plaidé.

Il a indiqué être en négociation avec l'Union européenne sur ce dossier.

Cette difficulté à revendiquer la restitution, «faute de moyens financiers et d'expertise», pénalise aussi l'Afrique, autre grande victime du trafic, a souligné Mounir Bouchenaki, secrétaire général de l'ICCROM, une organisation intergouvernementale de conservation du patrimoine culturel.

Plusieurs experts souhaitent en conséquence une modernisation du cadre juridique international contre le trafic et le développement de médiations entre les parties impliquées, avec comme principal objectif de tarir la demande.

Le procureur italien Paolo Ferri, un des artisans de la récente restitution à l'Italie par le musée américain Getty de 42 antiquités, a appelé à continuer à exercer une pression sur les musées, «car même s'ils ont fait de véritables progrès, certains achètent encore des pièces à l'origine douteuse».

«Les musées sont en première ligne, mais ils ne sont pas les seuls voyous, il faut aussi s'en prendre aux négociants. Là, le cadre juridique est plein de lacunes. C'est inacceptable», a affirmé M. Göbwald.

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