Maurice Richard, l'immortel

En 1955, Richard est suspendu par Clarence Campbell. Or, à l’époque, plusieurs personnes croient qu’il existe un lien entre le président de la Ligue nationale et la soupe du même nom de famille. Un mouvement de boycottage de la soupe Campbell s
Photo: Pascal Ratthé En 1955, Richard est suspendu par Clarence Campbell. Or, à l’époque, plusieurs personnes croient qu’il existe un lien entre le président de la Ligue nationale et la soupe du même nom de famille. Un mouvement de boycottage de la soupe Campbell s

Maurice. Richard. Si la terre française d'Amérique est le lieu des consensus mous, celui qui entoure le Rocket, exception qui confirme autre chose, se révèle dur comme fer malgré le passage du temps. Peu de ceux qui restent l'ont vu à l'oeuvre, mais il en va ainsi des mythes, à l'encontre des lois de l'optique: ils grossissent à mesure qu'ils s'éloignent. Il n'en reste pas moins fascinant d'y plonger, de baigner dans une époque qui a façonné celle-ci et qui continue de susciter d'irrépressibles élans de nostalgie parce que, comme tout le monde le sait, c'était bien mieux avant.

Pour illustrer l'immense ascendant de l'homme dans une société qui ne s'ouvrait sur l'extérieur que pour prendre des ordres de Rome, l'ancien arbitre Red Storey disait de Maurice Richard qu'il était «plus populaire que le pape». Le numéro 9 avait d'ailleurs un impact qui dépassait les frontières du Québec et forçait sa reconnaissance ailleurs. Prenons par exemple un article du Sun de Vancouver publié après que Richard eut, le 8 avril 1952, capté une passe de Butch Bouchard et traversé la patinoire d'un bout à l'autre, seul, pour marquer «le but du siècle» contre Sugar Jim Henry, des Bruins de Boston.

Ce jour-là, Erwin Swangard, chroniqueur au Sun, avait écrit en français, certes approximatif mais c'est l'intention qui compte, pour rendre hommage à la légende encore en train de se faire. «Richard Celebre des Habitants», titre l'article, qui mentionne que «mardi il était sentionnel dans tous les gouts», que «brisant des parties cruciale est vieut pour le Rocket», le Rocket, oui, assurément, est un «tres bon joueur de gouret».

Ce papier, ainsi que quantité d'autres qui ont émaillé le prodigieux parcours de l'idole, on peut le lire au complet dans le cadre de l'exposition Rocket Richard, une légende, un héritage, présentée au Musée du château Ramezay de Montréal jusqu'au 20 avril. Bref rappel de l'origine de la chose: en 2002, la succession de Richard met aux enchères une cinquantaine d'objets ayant appartenu au grand Maurice.

Comme les acheteurs les plus intéressés sont américains, Patrimoine canadien intervient, à raison de 600 000 $, pour conserver le trésor au pays. On y ajoute une quarantaine d'artéfacts, dons ou prêts de diverses provenances, et le tout prend la forme d'une expo au Musée des civilisations de Gatineau. Au cours de la dernière année et demie, l'expo a voyagé jusqu'en Alberta et est actuellement présentée à Montréal pour la première fois.

On y fait des découvertes étonnantes. Bien avant la vague de fond d'endossement de produits par les sportifs professionnels, le seul nom de Richard représentait un puissant outil de marketing. Aussi, par-delà les trophées ou la rondelle plaquée or du 325e but — un record, à l'époque — qu'on fit parvenir à la reine Elizabeth fraîchement couronnée, retrouve-t-on un jeu de hockey sur table, un jeu de bagatelle, une radio transistor, une lampe, une bague publicitaire et une «poignée hercule» à l'effigie du Rocket.

De même apprend-on que Maurice Richard était un fervent lecteur du magazine Sélection, son «compagnon de voyage favori»: «Souvent, affirme-t-il, je suis si intéressé que j'en oublie de dormir.»

L'objet le plus intrigant? Un pan méconnu d'histoire: en mars 1955, Richard est suspendu pour le reste de la saison régulière et les séries éliminatoires après s'en être pris à un officiel lors d'un match à Boston, ce qui conduira à la célèbre émeute du Forum. Celui qui impose la sanction est le président de la Ligue nationale, Clarence Campbell.

Or il appert qu'à l'époque, plusieurs personnes croient qu'il existe un lien entre Clarence Campbell et la soupe du même nom de famille. Un mouvement de boycottage de la soupe Campbell s'organise donc. Sautant sur l'occasion, une mystérieuse entreprise située à Pont-Viau, Produits alimentaires Rocket inc., décide de lancer sa propre soupe aux tomates au nom du hockeyeur. Fait particulier, on n'a jamais retrouvé trace de cette compagnie, mais on peut apercevoir la boîte de conserve dans toute sa splendeur à l'exposition.

Et Maurice Richard, immortel ainsi qu'on a paradoxalement pu le constater lors de son décès, c'est encore et toujours une incarnation de ce qui fut, «francophone, catholique, peu bavard, modeste jusqu'à la timidité et attaché à sa famille», comme on peut le lire.

Dès 1962, deux ans à peine après sa retraite, un journal le consacre «irremplaçable». En mots de son temps, le reporter Louis Chantigny tente de résumer le personnage. «Maurice Richard, c'est vous, c'est moi, c'est nous tous Canadiens-Français, c'est la magistrale revanche des déboires et des défaites que nous essuyons au courant de notre vie obscure. Maurice Richard, c'est l'homme qui est devenu le symbole de toute une race.»

On s'en rend compte dans ce magnifique édifice qu'est le château Ramezay, le chef des fantômes du Forum n'a pas fini de hanter.

n Rocket Richard, une légende, un héritage, Musée du Château Ramezay à Montréal. Jusqu'au 20 avril

- Activités parallèles: conférence de l'historienne Julie Peronne, Mémoire et histoire: Le processus d'héroïsation de Maurice Richard, le 27 janvier à 14h au musée; projection du film Maurice Richard de Charles Binamé, le 27 février à 18h30 à la Cinémathèque québécoise.

À voir en vidéo