Aux sources de Montréal

L’anthropologue Suzanne Lachance a dévoilé hier une flopée d’artefacts fascinants. Elle tient ici une mâchoire d’ours.
Photo: Jacques Grenier L’anthropologue Suzanne Lachance a dévoilé hier une flopée d’artefacts fascinants. Elle tient ici une mâchoire d’ours.

Le Montréal originel gît là, dans le sous-sol du 214, place d'Youville. Les activités estivales de l'École de fouilles archéologiques de Pointe-à-Callière permettent aujourd'hui de confirmer l'emplacement du fort de Ville-Marie, premier établissement de Montréal. De nouveaux artefacts témoignent même de la présence des Français dès 1600.

«On sait maintenant que Chomedy de Maisonneuve [en 1642] a officialisé un lieu qui existait déjà», résumait hier l'anthropologue Suzanne Lachance en dévoilant aux journalistes ébahis une flopée d'artefacts fascinants: un dé à coudre, une pointe de projectile en cuivre, une grande épingle à chapeau intacte, des fragments de poterie amérindienne témoignant de la vie qui a continué sur le site après l'abandon du fort et de magnifiques perles décorées. «C'est du jamais vu; ce sont les plus anciennes qu'on ait trouvées.» Certains artefacts datent de la vie du fort, d'autres remontent plus loin dans le temps, preuve des activités des colons avant le baptême officiel de Montréal en 1642.

«On peut maintenant attester que nous sommes sur le site du fort de Ville-Marie», déclarait un peu plus tôt Francine Lelièvre, directrice du musée d'archéologie, lors d'une conférence de presse annonçant les découvertes de cinq années d'activité de l'École des fouilles archéologiques de Pointe-à-Callière. Ce programme de stage en archéologie urbaine mis sur pied conjointement en 2002 par le musée Pointe-à-Callière et l'Université de Montréal a littéralement déterré les preuves de la fondation de la métropole.

L'histoire nous avait déjà appris que le fort de Ville-Marie se situait sur la pointe à Callière, au confluent de la rivière Saint-Pierre (aujourd'hui sous la place d'Youville) et du fleuve. Mais aucune donnée archéologique n'existait avant 2002, à part un plan de l'ingénieur du roi Jean Bourdon datant de 1647, qui ne faisait pas l'unanimité chez les historiens. Jusqu'ici, on ne pouvait que formuler des hypothèses quant aux limites réelles et à l'organisation interne de son premier établissement, le fort de Ville-Marie.

Depuis les dernières fouilles estivales, les archéologues peuvent donner un sens à l'ensemble des éléments trouvés au fil des ans: puits, four à pain, édifice principal, palissade, murs de maçonnerie, dépotoir.

«Les vestiges du fort font exception en s'orientant en fonction des quatre points cardinaux», indique l'archéologue Brad Loewen, alors qu'à partir de 1680 les rues se sont plutôt orientées nord-ouest et sud-est, telles qu'on les connaît aujourd'hui. «C'est un ensemble architectural bien planifié.»

Un suspense qui dure...

Cet été, on a levé le voile sur la fonction des anciennes maçonneries découvertes l'an dernier. La présence de scories, de charbon et de cendres signale-t-elle une forge ou un fourneau? Le suspense perdure puisque seul le tiers du site complet est exhumé. Les fouilles dans les espaces non bâtis ont aussi mis au jour des os de tortue, de loup, d'oiseaux laissant croire qu'on y dépeçait les animaux. Des traces de la vie avant et après le fort ont permis de dater sept périodes d'occupation: la préhistoire et la protohistoire d'avant 1642, le fort de Ville-Marie (1642-1688), le château du gouverneur de Callière (1688 à 1765), son domaine après l'incendie de 1765, le lotissement actuel et les entrepôts Leprohon et Dunlop (1798-1842), l'entrepôt Gillespie (1842-1879) et l'entrepôt Smith, dont des parties existent toujours aujourd'hui.

«Peu de villes connaissent leur lieu de fondation et ont su en préserver les traces», note Mme Lelièvre. Une chance qu'on doit en bonne partie au sieur de Callière, qui a fait remblayer le terrain avant d'y construire son château, préservant ainsi les artefacts des périodes antérieures. Plus près de nous, c'est grâce au couple Townsend, propriétaire de l'entrepôt du 214, place d'Youville, qu'on a pu creuser le sous-sol de Montréal jusqu'à sa précieuse source.

Dans ses projets d'expansion, le musée Pointe-à-Callière espère un jour intégrer ces fosses archéologiques pour les ouvrir au public. D'ici là, rendez-vous aux portes ouvertes de l'École des fouilles archéologiques chaque mois de juin, ou encore au marché public de Pointe-à-Callière les 25 et 26 août prochains sur la place Royale, où le public se replongera dans l'atmosphère du Montréal du XVIIIe siècle.

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