Le jeu de la mémoire et de l'oubli

La part cachée de l'histoire en révèle souvent beaucoup sur les événements et les gens, au moins autant que celle qui s'expose — dans les médias, les déclarations politiques, les oeuvres frappées du sceau de la reconnaissance. De la même façon, les écrits intimes non officiels jettent une autre lumière sur les oeuvres et leurs auteurs. C'est pourquoi, en retenant le thème de la mémoire, les 5es Correspondances d'Eastman, qui se déroulent du 2 au 5 août, se sont empressées de traquer aussi l'oubli.
«La marche, le doute, l'amour», mise en lecture inaugurale du festival des Cantons-de-l'Est, met ainsi en parallèle le côté sombre et le côté lumineux de Gaston Miron exprimés dans ses lettres et ses poèmes.«C'est fascinant de voir la correspondance entre la misère de vivre de Miron et la luminosité de ses poèmes, souvent écrits le même jour qu'une lettre où il disait qu'il n'était pas sûr de pouvoir se payer le repas du midi, qu'il n'était pas vraiment un poète, qu'il était fait pour éditer les autres, rapporte Robert Lalonde, qui donnera vie aux écrits avec les jeunes comédiens Sébastien Ricard et Evelyne Gélinas. On connaît bien la légende, peut-être moins la réalité. En opposition au personnage un peu ceinture fléchée et gueulard, il y a l'usurpateur qui n'était pas à la hauteur de ses ancêtres, qui ne faisait que scribouiller alors qu'eux avaient vraiment fabriqué un pays.»
L'auteur et la petite équipe du festival caressent depuis plusieurs années l'idée de croiser lettres et poèmes de l'auteur de L'Homme rapaillé. Le projet a finalement pris la forme d'une mise en lecture, signée Martin Faucher.
Le Cabaret de l'oubli mettra aussi au jour les petites omissions de l'existence avec la folie débridée qui caractérise ce spectacle de fin de soirée. Les artistes s'y travestissent dans de courts numéros qui se succèdent avec spontanéité sous la gouverne de Claude Poissant.
«C'est fantasque, audacieux, iconoclaste, ça n'a aucun sex-appeal dans le sens de la fabrication d'un spectacle avec des moments forts. Ce sont des gens qui montent sur scène pour présenter un petit quelque chose. Ça rejoint les anciennes formules de cabaret», lance Robert Lalonde, qui se fera chanteur pour l'occasion en interprétant L'Oubli de Michel Rivard.
Fadette et les autres
Qui dit mémoire dit histoire. L'équipe des Correpondances a décidé de plonger dans l'oeuvre méconnue d'Henriette Dessaulles, à qui Francine Ruel et Andrée Lachapelle, nouvelle figure des Correspondances, prêteront leur voix. Née en 1860, Mme Dessaulles, nièce du patriote Louis-Joseph Papineau, a écrit des chroniques dans plusieurs publications. Plusieurs de ses «lettres de Fadette» (son pseudonyme) ont paru dans les pages du Devoir.
«C'est une des premières femmes courriéristes au Canada, signale Francine Ruel. À l'époque, c'était très rare qu'une femme vive de sa plume.»
En alternant entre les écrits de jeunesse — un journal tenu entre 1874 et 1880 — et ses lettres, le metteur en scène André Melançon a voulu faire surgir les différents mouvements de l'oeuvre et de la vie de cette femme, devenue veuve à 37 ans après avoir donné naissance à sept enfants.
«Elle avait une maturité et une ouverture sur le monde assez exceptionnelle pour l'époque», note la comédienne.
Mais d'autres soirées s'annoncent et, l'esprit des Correspondances, on le saisit d'abord le jour, en déambulant dans les rues d'Eastman et dans ses jardins, que les résidants ouvrent aux festivaliers afin qu'ils rédigent une missive. La région offre aussi des circuits complets de ces chambres d'écriture propices à amadouer les muses les plus récalcitrantes.
«Les gens sont vraiment là pour faire un voyage à travers les mots qui leur est très personnel, note Robert Lalonde, qui espère préserver ce caractère intime et authentique. Ça fait du bien de vivre autour des mots de certains écrivains sans que ce soit relié au commerce des livres.»
Cette année, de nouveaux visages nourriront les échanges entre lecteurs-épistoliers et écrivains de métier. Les jeunes plumes Myriam Beaudoin, Charles Bolduc et Jonathan Harnois ainsi que Dominique Demers, Dany Laferrière, Micheline Lachance, Andrée Laberge, Philippe Béha et la journaliste française Catherine David se prêteront notamment au jeu de la mémoire et de l'oubli.