Une supercherie mondialisée

La cité troglodyte de Pétra en Jordanie
Photo: Agence Reuters La cité troglodyte de Pétra en Jordanie

Dinu Bumbaru désavoue à son tour le concours mondial des 7 nouvelles merveilles du monde qui a abouti samedi dernier, le 07-07-07. Directeur des programmes du groupe Héritage Montréal, secrétaire général de l'ICOMOS, l'organisme-conseil de l'ONU sur les monuments et sites, il ne voit dans cette démarche qu'une manifestation de plus de notre monde hypermédiatisé, jouant constamment du spectacle et du star-system.

«C'est dans la série des Stars Académies, dit M. Bumbaru, interrogé hier par Le Devoir. C'est du showbiz. Que les gens s'amusent, c'est formidable. Sauf que les organisateurs se présentent comme les chevaliers du vrai patrimoine et que cette démarche réductrice n'a finalement rien à voir avec la réalité patrimoniale immensément riche de la planète.»

Le concours des New7Wonders (n7w.com) a été lancé au début du millénaire par le cinéaste canado-suisse Bernard Weber. Une centaine de millions de personnes ont voté, surtout par Internet, pour réduire à sept une première liste de 77 sélections. Les «gagnants» sont la Grande Muraille de Chine, la statue du Christ rédempteur au Brésil, la cité troglodyte de Pétra en Jordanie, le mausolée du Taj Mahal en Inde, le Colisée de Rome, les ruines incas du Machu Picchu au Pérou et l'ancienne cité maya de Chichen Itza au Mexique.

Les critiques féroces de la démarche ne manquent pas. L'UNESCO, qui avait déjà dénoncé la démarche, a réitéré son malaise après le résultat. La Liste du patrimoine mondial, élaboré depuis quatre décennies par des comités d'experts du monde entier (dont M. Bumbaru) compte plus de 850 inscriptions de toutes natures et cultures.

«Le spectaculaire nuit, poursuit M. Bumbaru. La courte liste ne comprend que des objets isolés, des ruines. Tout y est important, mais il n'y a là aucun paysage vivant, aucune ville, aucun ouvrage technologique. Le colosse de Rhodes et le phare d'Alexandrie de l'ancienne liste célébraient aussi des prouesses techniques de l'Antiquité. La nouvelle liste demeure étrangement limitée, très dix-neuviémiste: elle propose de beaux objets, de belles ruines, sept destinations touristiques hyperconnues, sept sites très cartes postales.»

Le spécialiste s'interroge même sur les effets pervers de l'hypermédiatisation. Déjà, à Machu Picchu, les ruines sont déplacées pour faire de belles photos-souvenirs. Les portions les moins visitées de la grande muraille sont encore utilisées comme carrière de briques. «Le statut de Merveille n'y changera rien, dit encore le secrétaire général Bumbaru. De même, le Taj Mahal fait l'objet d'études de restauration depuis des décennies. Ce n'est pas le vote de M. Weber qui y changera quoi que ce soit.»

Le Parthénon ne figure pas sur la petite liste finale du XXIe siècle et n'avait pas non plus triomphé au premier coup de pub, il y a 2200 ans. Le ministre grec de la Culture, Giorgos Voulgarakis a carrément affirmé que son pays ne se sentait pas concerné par la nouvelle démarche. «Les monuments ne sont pas des modèles participant à un concours de beauté», a ajouté le ministre.

L'éditorialiste du magazine espagnol ABC Ignacio Camacho a écrit hier que ce concours avait «réveillé une fièvre chauviniste camouflée sous une apparence de démocratie directe» et «donné lieu à une surenchère dans quelque chose d'aussi primaire que la fierté nationale, entremêlée d'intérêts touristiques et d'une simple soif populaire de reconnaissance et d'estime de soi». Il a finalement conclu que la huitième merveille du monde était «la naïveté et la crédulité qui flotte sur Internet comme l'écume d'un océan de superficialité collective».

Et ça continue. L'équipe de M. Weber a déjà en place (natural7wonders.com) un nouveau concours pour désigner cette fois les merveilles naturelles. Un panel d'experts réduira les propositions à 21 sites le 08-08-08...

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