La Semaine de la mode de Montréal - Montréal sur la carte... de mode

Chantal Durivage et Jean-Pierre Daviau forment un couple d'organisateurs résolument optimistes, déterminés à réconcilier des sensibilités différentes. Leur point de vue offre une autre perspective que celle qu'on entend habituellement à propos de la mode. La Semaine de la mode de Montréal, qui vient de se terminer, est pour eux un défi... mondial! Réflexions sur un milieu en changement.
Q. Quelle est la genèse de la Semaine de la mode de Montréal?R. En fait, la Semaine de la mode est une initiative de Liaison Mode Montréal, une association qui regroupe l'ensemble des organismes sectoriels de l'industrie. La direction générale faisait à l'interne une semaine de la mode car son rôle est d'assurer la promotion de l'industrie. Nous, c'est la troisième semaine qu'on produit.
Q. Autrement dit, les médias et le public en entendent parler depuis que vous êtes là!
R. C'est la raison pour laquelle Liaison Mode s'est tourné vers nous. Depuis six ans, nous avons réussi à développer une expertise qu'il n'y avait pas dans le milieu. Nous faisons le Festival Mode Montréal qui se déroule en juin, pendant le Grand Prix. C'est notre premier concept: démontrer aux touristes et au grand public l'excellence de ce qui se fait à Montréal. C'était notre plate-forme, et nous avons accepté la responsabilité de la Semaine de la mode de Montréal qui, elle, est présentée aux acheteurs et aux médias. L'idée derrière tout ça est que Montréal conserve un statut de capitale de la mode.
Q. Que voulez-vous dire par «capitale de la mode»? C'était la capitale des emplois de l'industrie du vêtement, il y a une nuance...
R. À l'extérieur de Montréal, on est reconnus comme une capitale de la mode. Pensez à tous les détaillants, les Château, Aldo, Garage... Il y en a tellement! Et, de plus en plus, les majors, si on peut les appeler ainsi, recrutent des créateurs de mode. Par exemple, Parasuco a recruté Yso, et Luc Laroche est maintenant avec le Château Lingerie. Il y a cette tendance qu'on voit émerger: le manufacturier qui souhaite amorcer une communication avec un créatif.
Q. La création s'intègre actuellement là où il n'y en avait pas avant?
R. C'est ce qui va sauver l'industrie. De part et d'autre. Je crois que les créateurs ont un appui. Il reste beaucoup à faire, mais il y a une amorce qu'il ne faut pas dénigrer. Il faut travailler ensemble. C'est certain que les designers ne sont pas assez soutenus si on pense à ce qu'ils rapportent à Montréal.
Q. Que voulez-vous dire?
R. Pour le statut de ville de design qu'a donné l'UNESCO à Montréal, les événements mode sont dans le dossier de candidature. Un autre enjeu majeur est le tourisme: la première activité touristique, c'est le magasinage! Ça démontre que l'originalité qu'on offre est importante. Et les designers contribuent davantage qu'ils ne récoltent, c'est certain. Les designers, c'est une signature culturelle. Il faut vraiment comprendre cela. Ils n'ont pas accès aux subventions culturelles alors qu'ils devraient être considérés comme des artistes.
Q. On dit que la Semaine de la mode sert surtout à mettre Montréal à l'avant-plan.
R. Ce n'est pas faux, mais il faut comprendre qu'une semaine forte doit être associée à une ville forte, c'est un tout. La vitalité de Montréal sur le plan culturel, l'excellence de sa table, les spectacles, etc., tout compte, et la mode en fait partie. Alors, nous croyons qu'il faut sortir les trompettes, et un événement comme la Semaine de la mode sert à attirer l'attention des médias. On s'est donné un standard de grande qualité qui répond aux critères des autres semaines sur la scène internationale, et cette présentation-ci connaît un progrès réel dans cette direction. Montréal peut se positionner en se distinguant. Les vêtements qu'on a vus sont splendides.
Q. Parlons donc des mannequins qui défilent. L'initiative de Madrid d'exclure la maigreur vous influence-t-elle?
R. Ce sont les designers qui choisissent leurs mannequins. En Europe, la mode est davantage orientée vers la maigreur, comparativement à New York. À Montréal, cette question ne s'applique pas. Nos mannequins sont minces, pas maigres.
Q. Vous vous comparez à quelles semaines de la mode dans le monde?
R. Barcelone, sans aucun doute, et Anvers, en Belgique, qui s'est positionné de façon intéressante. On ne pense pas remplacer Paris, mais on peut se positionner favorablement. Notre concurrence, c'est le monde!
Q. Quelle stratégie avez-vous pour vendre notre semaine de la mode de Montréal?
R. C'est une opération charme. Le créneau est extrêmement concurrentiel car il y a beaucoup d'argent à faire. Il faut le comprendre et le répéter: nous devons nous distinguer. Ce qui sera reconnu, c'est l'excellence du talent et l'originalité de nos créateurs. Il n'y a pas de raison pour que ça ne marche pas. On a eu une dizaine d'acheteurs étrangers cette semaine. Toronto déplace maintenant des médias pour venir nous voir. Tokyo — en fait, le Japon — est un marché intéressé, qui ne veut pas acheter de la copie chinoise. Il y a du mouvement, il y a une mutation sur le plan international, c'est le temps d'y aller. L'intérêt politique semble être là... On sait que c'est long avant d'être entendu, et ça prend des moyens.
Q. Votre budget ressemble à quoi?
R. Autour de 400 000 $. C'est trois fois moins qu'à Toronto. Pour New York, on parle de 20 à 40 millions. C'est dans ces ligues-là qu'on joue. On est l'exemple de la grenouille qui veut devenir comme le boeuf!
Q. Que faut-il améliorer à court terme?
R. Ce qui fait la plus grande force et la particularité de la mode lui nuit actuellement. On est entre deux chaises, la mode n'entre pas dans les cases! C'est un commerce, ça crée des emplois, comme l'industrie du disque et de la chanson. C'est une signature culturelle, la mode incarne Montréal comme d'autres entreprises culturelles. On ne le lui reconnaît pas. Pourtant, c'est la beauté de la mode: c'est du show, c'est du design, c'est une business, et cette grande force de répondre à tous les créneaux lui nuit. Mais c'est dans l'air. On pense que ça peut évoluer.
Collaboratrice du Devoir