Le rôle clé des ressources humaines

L’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) dans les milieux de travail soulève des défis organisationnels et managériaux de taille. Dans ce contexte, l’expertise des conseillers en ressources humaines est mise à contribution. En cette ère de transformation numérique, l’importance d’une saine gestion des ressources humaines est de plus en plus démontrée.
Les conseillers en ressources humaines agréés (CRHA) et les conseillers en relations industrielles agréés (CRIA) sont appelés à jouer un rôle majeur dans la transformation annoncée par la croissance rapide des solutions en IA dans les organisations. Synonyme d’occasion à saisir, plusieurs voient dans cette évolution une façon de développer les compétences des employés, mais aussi de réorganiser le travail. Reconnus pour leur contribution à la saine gestion et au maintien de l’équilibre entre la réussite des organisations et le bien-être des employés, les conseillers en ressources humaines amènent un point de vue essentiel à toute transformation numérique. Ils doivent à la fois anticiper et comprendre comment l’IA viendra changer les métiers et les professions. « Il s’agit-là du rôle central des équipes en ressources humaines pour accompagner les organisations dans la transformation », évoque Manon Poirier, CRHA, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés et membre de l’Ordre depuis près de 20 ans.
Cap sur la transformation
Si certaines études prévoient que l’IA mènera à une suppression massive d’emplois, d’autres analyses demeurent plus prudentes. « L’Ordre n’est pas alarmiste quant aux pertes d’emplois reliées à l’IA, mais l’est beaucoup plus par rapport à la transformation des emplois, prévient Manon Poirier. Ce sera avant tout une question d’adaptation. » Concrètement, elle donne l’exemple d’un bureau de comptabilité, où une grande partie du travail pourrait être accomplie par l’IA : « Il faut tout d’abord tenter de garder les équipes intactes, développer les compétences des individus et envisager un changement de leur rôle, plutôt que d’aller vers la réduction d’effectifs, suggère Mme Poirier. Cela pourrait se faire en établissant un rôle de conseil en gestion de risque, par exemple. On peut également trouver d’autres tâches à valeur ajoutée, garder les membres plus expérimentés pour répondre à la rareté de la main-d’œuvre, ou encore offrir une stabilité à des gens qui ne souhaitent pas travailler à temps complet. »
Une question de communication
Manon Poirier affirme qu’il faut mettre les bouchées doubles en matière de communications au sein d’une organisation en contexte de changement. « Les organisations font l’erreur de penser qu’une communication officielle et quelques suivis par courriel suffisent, fait-elle valoir. Lors de transformations aussi importantes que celles en IA, il faut mettre en place un plan de communication dès que possible. » Elle ajoute du même souffle que les organisations ne doivent surtout pas oublier le fait qu’une équipe de haute direction a une bonne longueur d’avance sur les autres. Les projets sont sur la table depuis des mois, les gens ont cheminé, les questions ont été posées, le changement est déjà amorcé. Mais, au cœur des équipes, une annonce officielle arrivera comme une nouveauté. Conséquemment, on suggère de communiquer de plusieurs façons, à plusieurs étapes. De plus, dans l’élaboration d’un plan de communication pour annoncer l’arrivée d’une nouvelle technologie en IA, le choix des mots est aussi très important. « Lorsqu’on utilise une formulation telle que transformer l’organisation, quel message envoie-t-on?, questionne Mme Poirier. Les gens qui carburent au changement et aux nouvelles technologies seront enchantés, mais d’autres y verront une raison de paniquer. » Le CRHA privilégie des mots qui s’inscrivent plutôt dans une démarche évolutive, où l’on préfère une transition planifiée et une saine gestion.
Un consultant en renfort
Avec des enjeux de plus en plus complexes, le seuil à partir duquel on décide de faire intervenir un spécialiste en ressources humaines a baissé. « Il y a beaucoup de PME au Québec et les organisations en croissance qui atteignaient 80-90 employés sont celles qui embauchaient un spécialiste auparavant. Aujourd’hui, on le voit davantage autour de 40-50 employés », remarque Manon Poirier. Malgré cela, on a encore généralement tendance à attendre un conflit ou une situation de crise avant de faire appel au CRHA. Manon Poirier suggère plutôt de travailler en amont : « On voit des CRHA qui sont physiquement dans l’entreprise une journée par semaine, à titre de consultant. Lentement, ils peuvent mettre en place des structures, créer des liens, s’assurer que les employés se développent de façon appropriée, que le travail est bien organisé et qu’il y a un esprit de collaboration. Si, comme dirigeant, la priorité est le talent de son équipe, il faut mettre les ressources en place pour soutenir toute forme de transformation. »
IA et CRHA : au 1er jour
L’expertise que le CRHA apporte en contexte d’acquisition d’une technologie en IA doit être mise à contribution dès le début du projet, au moment même de l’idéation. Bien qu’il ne soit pas un expert en technologie, le conseiller est à même d’anticiper les répercussions du projet sur l’organisation du travail. « Il est un agent de changement et il soutient la transformation créée par l’IA, explique Manon Poirier. L’accompagnement dans le changement, la réponse aux questionnements et aux insécurités, la préparation des communications, l’implication des équipes; ce ne sont-là que quelques exemples de la contribution du conseiller. » Rappelons que, même avec la meilleure des technologies, si l’équipe ne maîtrise pas celle-ci, ne la comprend pas et s’en inquiète, la transformation est à haut risque d’échec. Manon Poirier donne l’exemple des fusions-acquisitions. « Un plan de fusion-acquisition présente en détail les aspects légaux et financiers, mais il ne faut pas négliger l’humain et la culture d’entreprise dans le processus. La même chose est vraie pour l’implantation de l’IA. Le CRHA sera l’agent qui pourra anticiper les changements, prévoir le développement des compétences, la requalification et la communication de la transformation. »
Former les gestionnaires
Placide Poba-Nzaou, CRHA, chercheur et professeur en technologie de l’information et en ressources humaines à l’UQAM, aborde en classe la question de l’IA et des technologies qui y sont associées. « On a l’occasion, en cette quatrième révolution industrielle, de mieux positionner cette fonction en ressources humaines. Les enjeux sont plus importants et complexes que durant la troisième révolution industrielle. Il faut donc outiller les gestionnaires en RH pour qu’ils soient prêts à saisir cette occasion d’opérer un changement. Si ce positionnement réussit, ça changera complètement la crédibilité de la fonction en ressources humaines. » C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il offre également des formations d’une demi-journée pour les cadres et les gestionnaires sur l’IA et ses répercussions sur les emplois et les compétences, au sein de l’École des sciences de la gestion. « Ce sont des phénomènes assez récents et peu sont familiers avec ces concepts. Il faut se rappeler que, dans le cas de l’IA, les enjeux les plus importants se situent dans la dimension humaine, insiste le professeur. Le défi n’est pas technologique, il est culturel, organisationnel et relié au changement des façons de faire. » « Si une organisation se trouve devant des enjeux financiers complexes, elle ira chercher un expert en finances le plus rapidement possible, indique Manon Poirier à titre de comparaison. C’est la même chose en ressources humaines, lorsqu’il s’agit d’accompagner l’organisation pour que les changements anticipés se fassent le mieux possible. » Et comme un code de déontologie guide les professionnels membres de l’Ordre des CRHA, ceux-ci doivent faire preuve d’intégrité, d’impartialité et d’indépendance. Pourtant, certaines entreprises négligent encore de s’allier un CRHA ou un CRIA, se fiant au climat agréable et à la bonne entente qui règne dans le milieu de travail. Mais une expertise en ressources humaines va bien au-delà du climat de travail et des relations harmonieuses. « Bien sûr, nous travaillons avec l’humain, les interactions, les conflits, l’ambition et l’espoir. Mais il faut voir plus loin. Il faut penser compétences, stratégies, systèmes et développement pour assurer la croissance de l’organisation et l’épanouissement des gens qui la composent », conclut Manon Poirier.
Le développement des compétences en réponse à l’IA Une des expertises du CRHA est de comprendre les compétences requises pour exécuter un travail, tant pour aujourd’hui que pour demain. L’arrivée de l’IA demande de faire un portrait réaliste de la situation et de prévoir la mise à jour et le développement des compétences que la vague technologique exige.
Le développement des compétences technologiques, plus spécialisées, requiert un certain niveau de littératie et de numératie. Les statistiques québécoises ne sont par ailleurs pas très encourageantes à ce sujet. En effet, 53,2 % de la population québécoise âgée de 16 à 65 ans aurait de graves problèmes de littératie, selon le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes de Statistique Canada. Un pourcentage qui inquiète Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés : « Je crois qu’il peut y avoir un choc. On a une nouvelle technologie, le travail change, on est prêts à former les gens, puis on réalise que le savoir de base n’est pas développé. Il faut donc travailler aux connaissances de base avant de demander d’acquérir de nouvelles connaissances. » Si, dans certains cas, il est possible d’intégrer cette autre dimension dans une formation, bien souvent cela demandera une plus grande implication de la part des individus et des organisations. « En tant que société, les organisations, le système d’éducation et les gouvernements doivent en être conscients », souligne Manon Poirier. À terme, si rien n’est fait, on risque ainsi de voir une hyperqualification des travailleurs. D’une part, des gens très qualifiés seront en mesure de poursuivre le développement de leurs compétences. D’autre part, on retrouvera des emplois qui ne demandent aucune qualification. « C’est un peu comme si la classe moyenne disparaissait », illustre-t-elle.
Innover, sans réduire les effectifs
Les exemples sont nombreux, surtout en automatisation, où les organisations affirment que, grâce à la technologie, il leur serait possible de réduire les effectifs. Manon Poirier insiste plutôt sur l’importance de penser selon une dimension humaine. « L’arrivée de l’IA met beaucoup de pression sur les organisations, dont le réflexe est de voir les investissements en technologie comme une occasion de baisser les coûts, alors qu’il faudrait plutôt garder les gens et développer d’autres rôles », affirme-t-elle. En ce sens, les incidences sur les tâches, et conséquemment sur les emplois, promettent d’être très variables selon les secteurs d’activités et les régions. « On ne parle pas d’« impact linéaire », explique Placide Poba-Nzaou, CRHA, chercheur et professeur en technologie de l’information et en ressources humaines à l’UQAM. Il faut établir les postes à risque dans les organisations et penser au reclassement et à la formation. Les personnes qui sont les mieux placées pour amorcer les réflexions sur ces questions sont les conseillers en ressources humaines. »
Mission : préserver les emplois
Dans cette approche de réflexion et de réorganisation, on tente de déceler les gens qui ont du talent et une bonne attitude, et on les amène à se développer. Ce que l’on souhaite le plus ? Les garder. Toutefois, devant une vision à court terme, où la fin du prochain exercice financier fait parfois dévier les objectifs à plus longue échéance, le défi peut être grand pour les conseillers en ressources humaines. « Ce discours sur l’importance de l’humain, sur la façon dont on traite les gens et avec laquelle on les accompagne dans leur développement permet aux organisations de gagner en loyauté et de renforcir leur marque employeur, note Manon Poirier. Il ne faut pas oublier que les gens s’informent de plus en plus avant d’accepter un emploi. C’est spectaculaire, la loyauté que ça crée, lorsqu’on explique aux gens que l’on croit en eux, que l’on a besoin d’eux pour l’avenir et qu’on s’engage à les aider à se développer. »
Des champions dans les rangs
La difficulté de recrutement peut aussi freiner l’implantation des IA. Et devant le défi du recrutement, le CRHA est à même de trouver des solutions innovantes. Manon Poirier donne l’exemple d’une entreprise qui se préparait à implanter une nouvelle technologie, mais qui était ralentie par le manque de personnel pour soutenir cette innovation : « L’équipe de CRHA a trouvé, au sein du service à la clientèle, des gens qui avaient de bonnes aptitudes et qui apprenaient rapidement, raconte-t-elle. On les a formés en accéléré pour faire de la programmation de base, ce qui a permis d’implanter la nouvelle technologie. D’un côté, nous avions déterminé la compétence recherchée, et de l’autre, utilisé des indicateurs qui permettaient de sélectionner un certain nombre d’employés. Ils sont passés d’agents au service à la clientèle à titulaire de postes en technologie. Imaginez les portes que ça ouvre pour ces gens-là. »
Quand l’IA simplifie le recrutement Les solutions en intelligence artificielle viennent redéfinir la façon dont le recrutement s’organise, mais pas à n’importe quel prix.
La technologie ne remplacera certainement pas une partie importante des tâches du CRHA. Le mentorat, le soutien aux opérations, l’élaboration de stratégies de recrutement et de rétention ou l’accompagnement dans des projets de transition ne peuvent être accomplis par un ordinateur. En effet, les tâches que la machine se propose de faire ne sont certainement pas celles qui représentent le mieux l’expertise des conseillers. C’est dans le processus de sélection et d’embauche que l’IA séduit le plus, en proposant des outils d’aide à la décision où elle soutient le professionnel, mais sans le remplacer. Pour ce faire, elle peut filtrer les curriculum vitæ, faire des recherches par mots-clés, conduire des tests psychométriques et détecter des candidats potentiels.
La responsabilité de l’expert
D’un point de vue professionnel, on se pose bien des questions sur la responsabilité des CRHA dans l’utilisation des technologies de l’IA, tant dans l’analyse de candidatures que dans la conduite de tests psychométriques. « D’où viennent les données qui ont alimenté l’IA? Qui a créé la technologie? Des psychométriciens et des spécialistes en ressources humaines y ont-ils participé? » soulève Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. Placide Poba-Nzaou, CRHA, chercheur et professeur en technologie de l’information et en ressources humaines à l’UQAM, abonde dans le même sens : « Cela nous appelle en tant que chercheurs puisqu’il ne faut pas négliger les risques associés à ces outils de recrutement, en partie en ce qui a trait à l’« explicabilité ». Il faut s’assurer de bien comprendre les mécanismes et d’exclure toute partialité ou toute discrimination dans les processus. » Pour sa part, l’organisme qui représente les CRHA insiste sur l’importance de tester les outils en recrutement. Par exemple, y a-t-il concordance entre les résultats de l’algorithme en intelligence artificielle et les cinq candidatures retenues par un conseiller après avoir épluché les mêmes documents? « On pourra apprendre de cette expérience de comparaison, assure Manon Poirier. Et puisque l’IA est nourrie de données, il faut continuer de l’alimenter, même après l’embauche d’un nouvel employé. C’est un nouveau rôle pour le CRHA que de travailler avec les équipes en informatique pour bien utiliser les données que nous possédons et les mettre à contribution dans une approche en IA. »
Et le travailleur ?
La personne qui cherche un emploi doit elle aussi s’adapter à l’émergence des solutions en IA dans les processus de recrutement. L’époque où un seul curriculum vitæ suffisait pour plusieurs emplois est indéniablement révolue, comme l’explique Manon Poirier : « Sachant qu’il y a un logiciel qui cherche certains mots-clés, les gens s’assurent d’aller voir dans l’affichage du poste pour rédiger un CV en fonction de ce qui est recherché. » Outre la mise en candidature, on multiplie aussi les entrevues en vidéoconférence, où l’on ira parfois jusqu’à analyser et à décoder le langage non verbal. Dans d’autres cas, comme un processus de présélection, on parle à un ordinateur, dans une fenêtre de clavardage. « Les technologies sont là pour accélérer le processus, mais il ne faut pas négliger la richesse du contact humain, tant du côté de l’employeur que de celui du candidat, prévient Manon Poirier. L’IA laissera plus d’espace pour l’humain, pour la créativité, la collaboration et l’innovation dans l’entreprise. Il n’y a aucun doute que les gens sont excités de voir ce que l’IA pourra apporter dans leurs quotidiens et leur organisation. »
L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec est la référence en matière de pratiques en ressources humaines au sein des organisations. Ses membres, les conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), et les conseillers en relations industrielles agréés (CRIA) occupent des rôles clés dans les organisations, dont les suivants :
1- Dénicheur de talents
D’une façon macrosystémique, le conseiller permet à l’organisation d’attirer les talents et de les conserver en adoptant une position objective, ni pro-employeur ni pro-employé. Il doit comprendre à la fois les intérêts, les enjeux et les attentes des travailleurs et des salariés, mais aussi comprendre le secteur ou l’industrie de l’organisation.
2- Planificateur efficace
Le CRHA et le CRIA assurent une planification stratégique des ressources humaines, c’est-à-dire les besoins en talents dans l’organisation, à la fois pour aujourd’hui et pour demain. Ils prennent donc en charge le recrutement et la sélection de candidats et l’acquisition de nouvelles compétences. Le développement des talents et la gestion de la carrière sont ainsi au cœur de leur travail.
3- Créateur de milieu de travail attractif
En fait d’organisation du travail et des relations de travail dans un contexte syndiqué ou non, le conseiller voit à établir un système de rémunération cohérent avec les objectifs de l’entreprise et qui permettra d’intéresser les équipes. Il contribue à la fois à créer un milieu de travail positif et stimulant, tout en appliquant les meilleures pratiques de gestion pour, ultimement, garder les gens à l’emploi et les amener à se développer, pour le succès des individus et des organisations.
Pour porter le titre de CRHA ou de CRIA, il est essentiel d’avoir suivi une formation universitaire en ressources humaines ou en relations industrielles. Dans certains cas, des diplômés d’une discipline connexe, tel le droit, peuvent également obtenir un des deux titres après avoir réussi un examen et fait la démonstration d’une expérience de travail jugée pertinente. Aujourd’hui, l’Ordre, qui compte près de 11 000 membres, exerce une influence notable auprès des décideurs et des acteurs socio-économiques.
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