Alphabétisation des adultes : le Québec doit agir

À la veille des élections, l’alphabétisation n’apparaît guère sur le radar des partis politiques. Il s’agit pourtant d’un enjeu de taille, qui concerne près de trois millions de Québécois et dont les causes et conséquences touchent l’ensemble de notre société.
« Pendant la pandémie, il a beaucoup été question de l’enseignement primaire et secondaire, mais très peu de l’éducation des adultes, constate Line Camerlain, première vice-présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). Et lorsque l’éducation des adultes est abordée, on se réfère le plus souvent aux décrocheurs du secondaire ; or, la problématique est beaucoup plus large ! » Comme elle l’explique, il faut miser sur la littératie le plus tôt possible, dès le primaire et le secondaire. Mais la mission de la formation des adultes ne se limite pas à permettre aux jeunes de terminer leur secondaire, elle comprend aussi l’insertion sociale et l’intégration socioprofessionnelle, la francisation, la préparation aux études postsecondaires et l’alphabétisation de gens de tout âge.
Ensuite, on doit rendre la formation accessible, tout particulièrement aux femmes élevant seules des enfants. Cela exige non seulement du financement, mais aussi de l’accompagnement pour trouver des services de garde et de l’accès à du transport, ce qui pose un défi lorsque la personne ne vit pas dans un grand centre urbain. « Depuis des années, la CSQ réclame plus de flexibilité, précise Line Camerlain. La conciliation études-famille-travail n’est vraiment pas évidente et le soutien financier aux adultes en alphabétisation, octroyé par le gouvernement, est d’une durée d’un an maximum, ce qui est nettement insuffisant pour développer des compétences en littératie et en numératie. »
Alors que les besoins de financement se font pressants, Line Camerlain entrevoit une baisse drastique des budgets des centres d’éducation des adultes, qui sont établis en fonction du nombre d’inscriptions des deux dernières années. « Je crains une spirale négative. À la suite de la baisse des inscriptions liée à la pandémie, les centres de services scolaires vont recevoir moins d’argent pour l’éducation des adultes. Ils auront donc moins de moyens pour ouvrir des groupes, rejoindre les gens, les soutenir, et ainsi de suite. »
À gauche, Line Camerlain, première vice-présidente de la Centrale des syndicats du Québec ; à droite, Brigitte Bilodeau, première vice-présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement.
De nombreux analphabètes sont prestataires des programmes sociaux, mais près de la moitié (48 %) sont des salariés. Alors que la pénurie de main-d’œuvre perdure, cette problématique devrait être une priorité pour les entreprises. Comme le font remarquer Line Camerlain et Brigitte Bilodeau, les employés doivent être bien outillés pour prendre le virage technologique. « L’alphabétisation, c’est bien plus que d’apprendre à déchiffrer un formulaire ou à lire le nom d’une rue sur une pancarte, précise Brigitte Bilodeau. Pour détenir un emploi, il faut avoir développé de plus en plus de compétences, alors que la formation des adultes – surtout en ce qui a trait à l’alphabétisation – demeure le parent pauvre de notre système d’éducation. »
Contrairement aux idées reçues, la majorité des adultes analphabètes ne sont pas issus de l’immigration. Au contraire, les immigrants de 24 à 64 ans vivant au Québec comptent une plus forte proportion de diplômés. « Il reste que le défi d’alphabétiser et de franciser des personnes issues de l’immigration, qui sont souvent des femmes n’ayant reçu aucune instruction dans leur langue d’origine, est d’autant plus complexe, souligne Brigitte Bilodeau. Elles ont tout à apprendre, à commencer par la langue, l’écriture et les références culturelles. »
Line Camerlain fait remarquer que les statistiques ne prennent pas en compte les personnes de 65 ans et plus, mais que beaucoup de gens souhaitent ou doivent continuer à travailler après l’âge officiel de la retraite. Les enjeux de littératie touchent donc de nombreux « retraités » qui peinent à joindre les deux bouts.
« Le revenu des travailleurs passe du simple au double pour ceux qui ont de bonnes compétences en littératie et numératie, affirme Brigitte Bilodeau. Cela représente des revenus en impôt pour les deux paliers de gouvernement. De plus, le seul fait de réduire de six points le taux d’analphabétisme au Québec pour égaler celui de l’Ontario engendrerait des économies de 328 millions de dollars en assistance sociale et autres programmes sociaux. »
Pour Line Camerlain, le gouvernement doit faire preuve de leadership et élaborer une stratégie partagée par plusieurs instances gouvernementales : le ministère de l’Éducation, bien sûr, mais aussi les ministères du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, de la Famille, de l’Immigration, de la Culture et des Communications. « Il y a des solutions qui demandent un partenariat avec les différents acteurs sociaux, les syndicats, les entreprises et les organismes qui interviennent sur le terrain. Tout le monde doit mettre la main à la pâte. » Les bénéfices individuels et collectifs sont immenses. L’alphabétisation a des conséquences inestimables pour les familles, et il a été démontré, par exemple, que la scolarité de la mère est un prédicteur de réussite scolaire pour les enfants. Pour les personnes concernées, le fait de briser l’isolement, de sortir de la précarité, de retrouver l’estime de soi ouvre enfin la possibilité de participer pleinement à la vie citoyenne.
« Ce n’est peut-être pas le sujet qui rapporte le plus de votes, mais l’analphabétisme nous concerne tous, conclut Line Camerlain. Nous sommes trop peu conscients des coûts énormes que ce problème représente, tant économiquement que socialement. J’ose espérer que, dans une société développée comme la nôtre, l’alphabétisation fera partie des enjeux en cette période d’élections.»


La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) est l’organisation syndicale la plus importante en éducation au Québec. La FSE-CSQ, qui lui est affiliée, représente plus de 65 000 enseignantes et enseignants de tous les secteurs d’enseignement des centres de services et commissions scolaires. Leur mission consiste à promouvoir et à défendre les intérêts économiques, professionnels et sociaux des membres qu’elles représentent.
« Pendant la pandémie, il a beaucoup été question de l’enseignement primaire et secondaire, mais très peu de l’éducation des adultes, constate Line Camerlain, première vice-présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). Et lorsque l’éducation des adultes est abordée, on se réfère le plus souvent aux décrocheurs du secondaire ; or, la problématique est beaucoup plus large ! » Comme elle l’explique, il faut miser sur la littératie le plus tôt possible, dès le primaire et le secondaire. Mais la mission de la formation des adultes ne se limite pas à permettre aux jeunes de terminer leur secondaire, elle comprend aussi l’insertion sociale et l’intégration socioprofessionnelle, la francisation, la préparation aux études postsecondaires et l’alphabétisation de gens de tout âge.
Le Québec n’est pas premier de classe
« Au Canada, le Québec se classe au 10e rang des territoires et provinces pour la compréhension des textes écrits, note Brigitte Bilodeau, première vice-présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ). On ne peut ignorer l’ampleur du problème, surtout lorsque l’on constate que la pandémie a entraîné une baisse dramatique des inscriptions en alphabétisation de l’ordre de 70 % en un an ! Les enseignants dans ce domaine ont pu le constater : l’alphabétisation à distance, c’est impossible. Les profs ont beau s’impliquer, ils manquent de ressources. Chaque personne est unique en fonction de son âge, de son bagage culturel, de ses origines. Il faut pouvoir adapter, et même individualiser la formation. Or, le ministère de l’Éducation offre peu de soutien, qu’il s’agisse de trouver du matériel pédagogique, de réseauter afin de partager des expériences entre collègues, d’avoir accès à des conseillers pédagogiques, des psychologues, des orthopédagogues… Et c’est pire encore à l’extérieur des grands centres. Il y a peu d’élèves, donc pas d’équipes spécialisées. »Le financement ne suffit pas
Rejoindre les personnes analphabètes n’est pas chose facile, et un dépliant ne suffit pas pour les faire sortir de la maison. Les services offerts ne sont pas connus de la population en général, encore moins de ceux qui en ont besoin. Les personnes analphabètes développent pour la plupart des comportements leur permettant de dissimuler leur faible compétence en littératie, et elles ne sont pas portées à demander de l’aide. On doit plutôt aller à leur rencontre et faire usage de différentes stratégies pour leur offrir du soutien. Ainsi, un centre de services scolaires peut embaucher des recruteurs qui vont travailler de concert avec les services de santé et d’aide sociale et les groupes communautaires.Ensuite, on doit rendre la formation accessible, tout particulièrement aux femmes élevant seules des enfants. Cela exige non seulement du financement, mais aussi de l’accompagnement pour trouver des services de garde et de l’accès à du transport, ce qui pose un défi lorsque la personne ne vit pas dans un grand centre urbain. « Depuis des années, la CSQ réclame plus de flexibilité, précise Line Camerlain. La conciliation études-famille-travail n’est vraiment pas évidente et le soutien financier aux adultes en alphabétisation, octroyé par le gouvernement, est d’une durée d’un an maximum, ce qui est nettement insuffisant pour développer des compétences en littératie et en numératie. »
Alors que les besoins de financement se font pressants, Line Camerlain entrevoit une baisse drastique des budgets des centres d’éducation des adultes, qui sont établis en fonction du nombre d’inscriptions des deux dernières années. « Je crains une spirale négative. À la suite de la baisse des inscriptions liée à la pandémie, les centres de services scolaires vont recevoir moins d’argent pour l’éducation des adultes. Ils auront donc moins de moyens pour ouvrir des groupes, rejoindre les gens, les soutenir, et ainsi de suite. »

Trois millions d’analphabètes au Québec
Selon le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), 19 % des Québécois de 16 à 65 ans sont analphabètes et 34,3 % éprouvent de grandes difficultés de lecture. C’est plus de 53 % de la population en âge de travailler !De nombreux analphabètes sont prestataires des programmes sociaux, mais près de la moitié (48 %) sont des salariés. Alors que la pénurie de main-d’œuvre perdure, cette problématique devrait être une priorité pour les entreprises. Comme le font remarquer Line Camerlain et Brigitte Bilodeau, les employés doivent être bien outillés pour prendre le virage technologique. « L’alphabétisation, c’est bien plus que d’apprendre à déchiffrer un formulaire ou à lire le nom d’une rue sur une pancarte, précise Brigitte Bilodeau. Pour détenir un emploi, il faut avoir développé de plus en plus de compétences, alors que la formation des adultes – surtout en ce qui a trait à l’alphabétisation – demeure le parent pauvre de notre système d’éducation. »
Contrairement aux idées reçues, la majorité des adultes analphabètes ne sont pas issus de l’immigration. Au contraire, les immigrants de 24 à 64 ans vivant au Québec comptent une plus forte proportion de diplômés. « Il reste que le défi d’alphabétiser et de franciser des personnes issues de l’immigration, qui sont souvent des femmes n’ayant reçu aucune instruction dans leur langue d’origine, est d’autant plus complexe, souligne Brigitte Bilodeau. Elles ont tout à apprendre, à commencer par la langue, l’écriture et les références culturelles. »
Line Camerlain fait remarquer que les statistiques ne prennent pas en compte les personnes de 65 ans et plus, mais que beaucoup de gens souhaitent ou doivent continuer à travailler après l’âge officiel de la retraite. Les enjeux de littératie touchent donc de nombreux « retraités » qui peinent à joindre les deux bouts.
Investir en alphabétisation, c’est rentable
D’une part, sans compétences de base suffisantes, les analphabètes ne peuvent avoir accès à un emploi bien rémunéré. D’autre part, sans appui financier, il est quasi impossible pour les personnes à faible revenu de consacrer le temps et les ressources nécessaires à l’apprentissage adulte, au raccrochage scolaire ou à la requalification professionnelle.« Le revenu des travailleurs passe du simple au double pour ceux qui ont de bonnes compétences en littératie et numératie, affirme Brigitte Bilodeau. Cela représente des revenus en impôt pour les deux paliers de gouvernement. De plus, le seul fait de réduire de six points le taux d’analphabétisme au Québec pour égaler celui de l’Ontario engendrerait des économies de 328 millions de dollars en assistance sociale et autres programmes sociaux. »
Pour Line Camerlain, le gouvernement doit faire preuve de leadership et élaborer une stratégie partagée par plusieurs instances gouvernementales : le ministère de l’Éducation, bien sûr, mais aussi les ministères du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, de la Famille, de l’Immigration, de la Culture et des Communications. « Il y a des solutions qui demandent un partenariat avec les différents acteurs sociaux, les syndicats, les entreprises et les organismes qui interviennent sur le terrain. Tout le monde doit mettre la main à la pâte. » Les bénéfices individuels et collectifs sont immenses. L’alphabétisation a des conséquences inestimables pour les familles, et il a été démontré, par exemple, que la scolarité de la mère est un prédicteur de réussite scolaire pour les enfants. Pour les personnes concernées, le fait de briser l’isolement, de sortir de la précarité, de retrouver l’estime de soi ouvre enfin la possibilité de participer pleinement à la vie citoyenne.
« Ce n’est peut-être pas le sujet qui rapporte le plus de votes, mais l’analphabétisme nous concerne tous, conclut Line Camerlain. Nous sommes trop peu conscients des coûts énormes que ce problème représente, tant économiquement que socialement. J’ose espérer que, dans une société développée comme la nôtre, l’alphabétisation fera partie des enjeux en cette période d’élections.»


La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) est l’organisation syndicale la plus importante en éducation au Québec. La FSE-CSQ, qui lui est affiliée, représente plus de 65 000 enseignantes et enseignants de tous les secteurs d’enseignement des centres de services et commissions scolaires. Leur mission consiste à promouvoir et à défendre les intérêts économiques, professionnels et sociaux des membres qu’elles représentent.
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